Les traumatismes à la colonne vertébrale (fractures osseuses, déchirures ligamentaires, hernies discales post-traumatiques, etc.) sont des lésions du système ostéo-disco-ligamentaire qui portent souvent atteintes à l’intégrité physique des victimes sur une longue durée et engendrent un fardeau économique énorme pour les victimes et les services de santé. Les chutes accidentelles et les accidents de la voie publique en sont les principales causes, étant responsables de plus de 85% des cas. Dans de tels accidents, la colonne vertébrale peut subir des efforts particulièrement élevés dont l’intensité et la distribution dépendent de facteurs anatomiques, qui sont propres à l’anatomie et difficilement modifiables (taille et forme des structures vertébrales, poids, âge et vieillissement, densité osseuse, architecture osseuse, etc.) et de facteurs biomécaniques, qui sont propres aux conditions dans lesquelles l’accident se produit (posture adoptée, sévérité et direction de l’impact, forces musculaires, etc.).
Contrairement au segment cervical qui, au fil des ans, s’est mérité une attention toute particulière, la réponse biomécanique des segments lombaires et thoraciques (de T1 au sacrum) en situation accidentologique reste mal comprise. De fait, l’influence de facteurs anatomiques et biomécaniques tels que la présence d’ostéophytes vertébraux (liée au vieillissement), le taux de chargement (lié à la sévérité de l’impact) et le profil sagittal rachidien (lié à la posture adoptée et défini par l’orientation et la forme de la colonne vertébrale dans le plan sagittal) sur les traumatismes de la colonne vertébrale T1-sacrum n’a pas été étudiée de façon exhaustive.
L’objectif général de ce projet doctoral était d’étudier l’influence de ces facteurs sur les traumatismes de la colonne vertébrale en situation accidentologique. Trois questions de recherche ont été étudiées :
Pour répondre à ces questions, des essais expérimentaux sur spécimens cadavériques rachidiens ont été réalisés et un modèle biomécanique détaillé du rachis T1-sacrum a été raffiné, validé expérimentalement et exploité.
Ce travail de recherche a été divisé en cinq objectifs spécifiques. Le premier objectif visait à développer et exploiter un banc d’essai expérimental afin d’évaluer l’influence des ostéophytes vertébraux sur les traumatismes rachidiens (Q1). Il visait également à colliger des données biomécaniques sur le comportement à la rupture de la colonne vertébrale soumise à une compression dynamique. Dix-sept spécimens rachidiens de trois vertèbres (T5-T7, T8-T10 et T11-L1) ont été extraits de 9 sujets cadavériques âgés de 77 à 92 ans. Avant les essais, des images CT-scan ont été acquises des spécimens pour les évaluer, les classifier (selon l’échelle de Thomson) et mesurer leur densité osseuse (trabéculaire) et leurs dimensions (longueur et aire de section moyenne). Neuf des 17 spécimens présentaient des ostéophytiques vertébraux importants liant les vertèbres adjacentes (ponts ostéophytiques), alors que les huit autres spécimens ne présentaient aucun ostéophyte. Tous les spécimens ont été comprimés axialement par un système hydraulique asservi, à un taux de déplacement de 1 m/s. Une courbe force-déplacement a été extraite de chaque essai, normalisée en fonction de la taille des spécimens, et utilisée pour mesurer la rigidité (K) du spécimen ainsi que la force (FRUPT), le déplacement (DRUPT) et l’énergie (URUPT) à la rupture. Des vidéos provenant de caméras haute-vitesse (1000 images/seconde) et des images CT-scan ont été respectivement acquises pendant et après l’essai de compression afin de caractériser le patron et le type de fracture. Les valeurs normalisées de K, FRUPT, DRUPT et URUPT étaient respectivement de 2.7, 1.8, 5.2 et 1.6 fois plus élevées pour les segments ostéophytiques. Ces segments présentaient également des fractures de moindre sévérité localisées au niveau de la vertèbre proximale du spécimen et de l’ostéophyte, contrairement aux segments sans ostéophytes, qui présentaient des fractures sévères (souvent comminutives) au niveau de la vertèbre médiane. La présence de ponts ostéophytiques semble donc protéger les segments sousjacents de fractures plus sévères lors d’une compression dynamique. La densité d’os trabéculaire mesurée cliniquement et l’aire de section du spécimen ont permis de prédire la force et l’énergie à la rupture des spécimens sans ostéophytes, contrairement aux segments avec ostéophytes.
Le deuxième objectif consistait au raffinement du modèle SM2S («Spine Model for Safety and Surgery») afin d’en améliorer sa biofidélité lors de chargements dynamiques. Développé conjointement par l’École Polytechnique de Montréal et le Laboratoire de Biomécanique Appliquée de Marseille depuis 2006, SM2S est un modèle par éléments finis (MÉF) détaillé de la colonne vertébrale dédié à des applications en traumatologie et en orthopédie. L’unité fonctionnelle (UF) L2-L3 du modèle a été développée initialement par Marwan El-Rich durant son projet post-doctoral. Plusieurs raffinements ont été apportés à ce modèle dans le cadre du présent projet:
Le troisième objectif visait à valider le modèle SM2S à partir de données expérimentales mesurées en condition dynamique. Des chargements en compression, flexion, extension, cisaillement antérieur et cisaillement postérieur ont été appliqués sur différents segments du modèle (T8-T10, T11-L1 et/ou T12-L5), à des taux de chargement variant de 0.1 à 4 m/s. Les résultats de simulation (courbes force-déplacement, paramètres à la rupture, localisation et type de traumatismes) ont été comparés aux résultats d’essais expérimentaux réalisés dans le cadre de la thèse (réf. Objectif 1) ou tirés directement de la littérature (Demotropoulos et al., 1999; Demotropoulos et al., 1998; Kifune et al., 1995). Globalement, les résultats prédits par le modèle sont en accord avec les expérimentations, démontrant ainsi la pertinence et la validité du modèle.
Le quatrième objectif consistait à exploiter le modèle SM2S afin d’évaluer l’influence du taux de chargement sur les traumatismes rachidiens (Q2). Pour ce faire, les simulations employées pour valider le segment lombaire T12-L5 de SM2S en compression, flexion-extension et cisaillement, à des taux de chargement lent (0.1 m/s) et rapide (1 ou 4 m/s) ont été exploitées jusqu’à la rupture et les sites d’initiation du traumatisme ont été comparés. Pour l’ensemble des modes de chargement, les traumatismes se produisent au niveau des vertèbres L1 et L4 (au niveau de l’os ou des ligaments adjacents). Toutefois, selon le taux de chargement appliqué, l’initiation de la lésion se produit à différents endroits, confirmant ainsi le rôle-clé de ce paramètre dans l’initiation du traumatisme.
Finalement, le cinquième objectif consistait à exploiter le modèle SM2S pour évaluer l’influence du profil sagittal rachidien sur les traumatismes de la colonne vertébrale en situation accidentologique (Q3). Deux situations accidentologiques ont été simulées. La première situation regroupe l’ensemble des accidents pour lesquels un chargement principalement orienté en compression est à l’origine des traumatismes. La seconde situation représente un choc frontal automobile pour lequel un chargement en flexion-distraction est à l’origine des traumatismes. Dans la première situation, 9 profils sagittaux rachidiens ont été modélisés sur le segment T11-L1 de SM2S en combinant 3 courbures (cyphotique, neutre et lordotique) à trois inclinaisons (incliné vers l’avant, sans inclinaison et incliné vers l’arrière). Sur chacun des profils, une charge dynamique verticale de 57 J a été appliquée au centre du plateau supérieur de T11, tout en bloquant les degrés de liberté de la vertèbre L1. Deux conditions aux limites ont été testées au niveau de la vertèbre T11. La première consiste à laisser libre les mouvements de T11 dans le plan sagittal (CL1) alors que la seconde limite les mouvements de T11 au déplacement vertical (CL2). Les résultats démontrent que la courbure et l’inclinaison du spécimen ont une influence significative sur les caractéristiques des fractures osseuses et que cette influence est modulée par la mobilité du segment au moment de l’impact.
Dans la seconde situation, une méthodologie originale couplant des mesures expérimentales et des outils de modélisation géométrique (logiciel CATIA v5) a été développée afin d’identifier la pente sacrée et la lordose lombaire de 34 profils sagittaux en position assise de conduite. Ces profils ont été transférés au segment T8-Sacrum du modèle SM2S et un chargement et des conditions aux limites simulant de façon simplifiée un choc frontal automobile ont été appliqués sur chacun des profils, avec et sans le poids du haut du tronc. Seuls les profils présentant une forte lordose ou une faible cyphose au niveau lombaire ont présenté des différences dans le type et la localisation du traumatisme. De tels profils sont rarement adoptés chez les usagers de voiture automobile, suggérant ainsi que le profil sagittal n’exerce qu’une influence limitée sur la nature des traumatismes lors d’un accident impliquant un mécanisme de flexion-distraction.
Ce projet de recherche est à la base d’une plate-forme de recherche unique et innovante, visant à étudier les facteurs anatomiques et biomécaniques influençant les traumatismes de la colonne vertébrale. Couplant des approches expérimentales et numériques, le projet a non seulement permis de répondre à des questions de recherche spécifiques, mais aussi d’ouvrir la voie sur de nouvelles avenues et perspectives. D’un point de vue expérimental, le banc d’essai permettra de caractériser les propriétés mécaniques des tissus de la colonne vertébrale à différentes vitesses, jusqu’à la rupture, et de tester différentes techniques et outils d’instrumentation chirurgicale. D’un point de vue numérique, une cartographie des traumatismes en fonction des mécanismes lésionnels sera développée à partir du modèle SM2S. Cette cartographie fournira des informations complémentaires aux classifications utilisées actuellement et améliorera nos connaissances sur l’étiologie des traumatismes. Un modèle détaillé de la moelle épinière sera ensuite ajouté au modèle SM2S. Couplé aux expérimentations, le modèle permettra de mieux comprendre les mécanismes menant à une lésion médullaire.
Spinal injuries such as vertebral fractures, ligament tears and disc herniations are lesions of the osteo-disco-ligamentous system that violate the physical integrity of victims over long periods of time. These injuries create a great economic burden for both the injured and health services. The major causes of spinal injuries, being responsible for more than 85% of cases, are falls from a height and road accidents. In such situations, the spine can withstand very high loads. The intensity and distribution depend on many anatomical factors, specific to the anatomy of a given spine and difficult to change (size and shape of the vertebral structures, weight, age and ageing, bone density, bone architecture, etc.), and biomechanical factors, mainly driven by the conditions in which the accident occurs (adopted posture, impact velocity and direction, muscular forces, etc.). Unlike the cervical spine, which over the years has garnered growing interest, the biomechanical behavior of the thoracic and lumbar spines (from the T1 vertebra to the sacrum) under traumatic events remains unclear. Consequently, the influence of factors such as the presence of vertebral osteophytes (related to ageing), the loading rate (related to the impact velocity) and the sagittal profile of the spine (related to the adopted posture and defined by the orientation and shape of the spine in the sagittal plane) have not been thoroughly investigated.
The overall objective of this research project was to study the influence of these intrinsic and extrinsic biomechanical factors on spinal injuries. Three research questions were asked:
To answer these research questions, experiments on human cadaveric spines were performed and a detailed biomechanical model of the spine was refined, validated against experimental data, and exploited.
The thesis was divided into five objectives. The first objective was to perform experimental tests to collect data on the biomechanical failure behavior of the spine subjected to dynamic compression. Seventeen human spine specimens composed of three vertebrae (from T5-T7 to T11-L1) and their surrounding soft tissues were harvested from 11 cadavers, aged 77 to 92 years. Specimens were imaged using quantitative computer tomography (QCT) for medical observation, classification (Thomson grade) and measurement of their vertebral trabecular density (VTD), height and cross-sectional area. They were divided into 2 groups (with (n=9) or without (n=8) substantial vertebral body osteophytes) and compressed axially at a dynamic displacement rate of 1 m/s, up to failure. Normalized force-displacement curves, videos and QCT images allowed characterizing failure parameters (force, displacement and energy at failure) and fracture patterns. Specimens with substantial vertebral body osteophytes presented higher stiffness (2.7 times on average), force (1.8 times), displacement (5.2 times) and energy (1.6 times) at failure than other segments. The presence of osteophytes significantly influenced the location, pattern and type of fracture. Vertebral osteophytes provided to the underlying vertebra a protective mechanism against severe compression fractures. The VTD was a good predictor of the dynamic force and energy at failure for specimens without substantial osteophytes.
The second objective was the refinement of the Spine Model for Safety and Surgery (SM2S) to improve its biofidelity during dynamic loading. SM2S is an anatomically realistic 3D FEM of the thoracic and lumbar human spine created in joint collaboration between the Laboratory of Biomechanics and Applications of IFSTTAR/Aix-Marseille University and École Polytechnique de Montréal for dynamics (impacts, virtual trauma) and quasi-statics (implants biomechanics) applications. The L2-L3 functional spinal unit (FSU) of SM2S was developed by Marwan ElRich during his post-doctoral work. Several refinements have been made to the model in this project:
The third objective was to validate the SM2S model using experimental data measured under dynamic loading conditions. Compression, flexion, extension, anterior and posterior shear loads were applied to different spinal segments (T8-T10, T11-L1 and/or T12-L5), at displacement rates ranging from 0.1 to 4 m/s. Simulation results (force-displacement curves, failure parameters, type and location of spinal injuries) were compared to the results of experimental tests carried out during the thesis (ref. objective 1) or taken directly from literature (Demotropoulos et al., 1999; Demotropoulos et al., 1998; Kifune et al., 1995). The model-predicted results agreed well with the average experimental data, thus supporting the relevance and validity of the SM2S model.
The fourth objective was to exploit the SM2S model to investigate the influence of the load rate on spinal injuries (Q2). Simulations performed previously for the validation of the lumbar spine model (T12-L5) in compression, flexion-extension and shear, at slow (0.1 m/s) and fast (1 or 4 m/s) displacement rates, were run up to failure. Simulation results were then used to compare the initiation sites of the injuries. For most loading cases, spinal injuries occurred at the L1 and L4 levels. However, various initiation sites were observed according to the load rate, thus confirming the key-role of this parameter on the onset of spinal trauma.
Finally, the fifth objective was to exploit the SM2S model to investigate the influence of the sagittal profile of the spine on spinal injuries sustained in two different injury scenarios. The first scenario represents accidents for which a loading primarily oriented in compression is responsible for the spinal injury. The second scenario represents a frontal car crash for which a flexion-distraction mechanism is responsible for the spinal injury. In the first scenario, nine sagittal profiles were modeled using the T11-L1 spinal segment of SM2S, by combining three curvatures (kyphotic, neutral and lordotic) with three spatial inclinations (tilt forward, no tilt and tilt backward). For each profile, a downward vertical load of 57 J was applied at the center of the superior endplate of T11, while all degrees of freedom (DOF) of L1 were fixed. Two boundary conditions were tested on T11. In the first condition (CL1), T11 was free to move in the sagittal plane. In the second condition (CL2), T11 was only free to move in the vertical direction. Results showed that the spinal curvature and the tilt angle of the specimen have a significant influence on the bone fracture. This influence is modulated by the mobility of the segment at the time of the impact.
In the second scenario, an original method that combined experimental measurements with computer assisted design (CATIA v5 software) was developed to characterize the sacral slope and the lumbar lordosis of 34 sagittal profiles in automobile driving posture. These profiles were transferred to the T8-Sacrum spinal segment of the SM2S model. Loading and boundary conditions that simulate a frontal car crash were applied on each profile, with and without the weight of the upper trunk. Different types and locations of spinal injuries were observed for profiles with high lordosis or low kyphosis. These profiles were infrequently adopted by car users, thus suggesting that the sagittal profile of the spine has a limited influence on the nature of spinal injuries in car accidents that involve flexion-distraction mechanisms.
This project forms the basis of a unique and innovative research platform that aims to study the effect of multiple anatomical and biomechanical factors on spinal injuries. By combining experimental and numerical approaches, the project has not only answered specific research questions, but has also paved the way for new avenues and perspectives. For instance, the experimental setup will render a better understanding of the relation between spinal injuries and loss of integrity of the spinal cord. Moreover, it will provide a means to characterize rate-dependent mechanical properties of the different spinal components, up to failure, and to optimize surgical instrumentations and techniques. The SM2S model will be used to develop a complete cartography that relates spinal injuries to their mechanisms. The cartography will include additional information to actual classifications and will help to better understand the etiology of spinal injuries. A detailed model of the spinal cord will also be added to the SM2S model. In combination with the experiments, the model will provide new insights into spinal cord injuries.