La scoliose est une déformation complexe du rachis qui se manifeste dans les trois plans anatomiques (Asher et coll., 2006; Morcuende et coll., 2003) ainsi que sur la position de la moelle épinière à l'intérieur du canal rachidien (Smorgick et coll., 2012). Lorsque la déformation atteint un certain niveau de sévérité (angle de Cobb de 50°), une procédure chirurgicale de fusion par instrumentation postérieure est souvent utilisée afin de corriger et arrêter la progression de la déformation (Cavali, 2012). Cette instrumentation consiste à appliquer des forces et déplacements complexes sur le rachis par l’intermédiaire d’implants tels des vis pédiculaires, des crochets et des tiges pour redresser le rachis. Les forces importantes générées lors de manœuvres de correction peuvent causer des blessures à la moelle épinière et aux nerfs rachidiens (Fujioka et coll., 2006; Miguel et coll., 2012) dans 0,5% de cas instrumentés (Miguel et coll., 2012). La pathomécanique et l'impact biomécanique des contraintes et déformations exercées sur la moelle épinière et les nerfs rachidiens lors des manœuvres de correction n'est pas encore bien compris (Persson et coll., 2011). Quelques études in vitro ont produit des données quantitatives sur l'effet neurologique de forces en tension sur la moelle épinière (Jarzem et coll., 1992; Owen et coll., 1988) et de contraintes en compression sur les nerfs rachidiens (Rydevik et coll., 1991). Cependant, aucune étude biomécanique n'a encore abordé les blessures médullaires suite à des manœuvres chirurgicales.
L'objectif de ce projet de recherche était de développer un modèle biomécanique du rachis et de la moelle épinière personnalisable, permettant d'évaluer les contraintes et déformations exercées sur la moelle épinière et les nerfs rachidiens lors de manœuvres de correction de déformations scoliotiques.
Pour atteindre cet objectif, tout d'abord, un protocole de simulation basé sur une modélisation hybride, composée d'un modèle multicorps flexible du rachis et d'un modèle éléments finis (MÉF) du rachis et de la moelle épinière, a été mis à point et vérifié. Pour cette première étude, les données cliniques d'un cas contrôle (cas #1) ainsi que celles d'un patient avec complication neurologique peropératoire (cas #2) ont été utilisées. La géométrie du MÉF a été adaptée à celle du patient en utilisant un algorithme de personnalisation basé sur des reconstructions 3D du rachis du patient, obtenues à partir des radiographies biplanaires calibrées, ainsi qu'une méthode de déformation élastique, le krigeage dual géométrique 3D. Afin de donner une représentation réaliste au MÉF de la moelle épinière scoliotique, les matières blanches et grises ont été déplacées du côté concave de la courbe scoliotique selon les données de Smorgick et coll. (2012). Les propriétés mécaniques des composants membranaires de la moelle épinière ont été calibrées selon des données expérimentales, dans la plupart des cas obtenues dans des conditions dynamiques (Tunturi, 1978; Wilcox et coll., 2003). Pour les autres structures modélisées, les propriétés mécaniques d’origine ont été utilisées. Les simulations d'instrumentations chirurgicales ont suivi un processus à deux niveaux: premièrement, une simulation multicorps flexible a permis d'obtenir les déplacements des marqueurs vertébraux situés au centre des plateaux vertébraux supérieurs et inférieurs ainsi que sur les sommets des pédicules. Cette cinématique 3D a été ensuite introduite dans le MÉF personnalisé afin de reproduire l'instrumentation. Pour chacun de deux scénarios chirurgicaux, des paramètres biomécaniques en tension tels la pression intra médullaire (PIM) et les déformations ont été comparés aux limites critiques reportées dans la littérature pour la moelle épinière (0,0067 MPa et 0,1 mm/mm, respectivement), et en compression, aux seuils critiques de fonctionnement neurologique des nerfs rachidiens (0,01 MPa). Pour les contraintes en cisaillement, des limites critiques sont inexistantes dans la littérature, par conséquent, les résultats obtenus ont été comparés entre chaque simulation.
Dans un deuxième temps, afin d'évaluer l’effet biomécanique des contraintes et déformations exercées sur la moelle épinière et les nerfs rachidiens suite à une instrumentation de correction, trois manœuvres chirurgicales ont été simulées individuellement, en exploitant la géométrie préopératoire d'un patient scoliotique (angle de Cobb de 63˚) : 1) la distraction de Harrington, 2) une manœuvre de translation segmentaire et 3) une chirurgie segmentaire basée sur une approche de rotation, composée d’une manœuvre de dérotation de la tige suivie de dérotations vertébrales directes et des distractions localisées. Des paramètres biomécaniques moyens de PIM, cisaillement, compressions des nerfs et de déformations en tension ont été évalués pour chaque scénario chirurgical sur trois régions, et par la suite comparés entre chaque technique.
L’algorithme de personnalisation a été partiellement validé lors d’un projet de stage au Laboratoire de Biomécanique de l’Université Aix-Marseille, à l’aide de reconstructions 3D basées sur des images CT-scan d’un patient cyphotique et des IRM de trois patients avec différentes déformations rachidiennes. Le processus de validation préliminaire était divisé en deux étapes: premièrement, le modèle personnalisé était superposé sur la reconstruction 3D afin d’évaluer visuellement leur concordance. Ensuite, des écarts moyens et maximums entre certains paramètres géométriques vertébraux et médullaires mesurés sur les modèles personnalisés et leur reconstruction 3D correspondante ont été évalués.
Tout d’abord, les résultats de l'étude de vérification ont montré la capacité du modèle hybride à détecter des problèmes intraopératoires potentiels liés aux contraintes et déformations subies par la moelle épinière et les nerfs rachidiens lors des manœuvres de correction. Les résultats de cette étude ont montré que pour le cas #1, les paramètres en tension et en compression ainsi que des contraintes en cisaillement sont jusqu’à 80 % moins élevées, contrairement au cas #2. De plus, les contraintes et déformations mesurées sont dans le même ordre de grandeur que les seuils neurologiques de la littérature. Par contre, ces résultats peuvent ne pas représenter une complication neurologique à cause de l’influence du choix de calibration des propriétés mécaniques des structures membranaires de la moelle épinière sur les réponses mécaniques générales du MÉF.
La deuxième étude a montré que pour la distraction de Harrington, des contraintes et déformations importantes étaient mesurées au niveau de la région thoracolombaire. Dans la région centrale thoracique, la manœuvre de translation génère 15% plus de cisaillement, 25% plus de déformations et 62% moins de compression des nerfs, comparée à la distraction de Harrington. Finalement, l’instrumentation segmentaire induit 18% plus de déformations au niveau de l’apex de la courbe ainsi que 72%, 57% et 7% moins de PIM, compression de nerfs et déformations dans la partie thoracique proximale, comparé à la manœuvre de distraction de Harrington.
Finalement, la validation partielle de l’algorithme de personnalisation a montré que, globalement, la méthode proposée arrive à reproduire la géométrie symptomatique du rachis et de la moelle épinière des 4 cas ciblés. Des écarts importants mesurés sur certains paramètres géométriques reliés aux pédicules ont été obtenus à cause du manque de précision des IRM (ex. des écarts entre 2,8 et 4,3 mm pour le diamètre transverse du canal rachidien ainsi que des écarts entre 2,1 et 2,9 mm pour la longueur des pédicules). De plus, des écarts maximums de 2,9 et 2,2 mm ont été observés sur les diamètres sagittal et transverse de la moelle épinière, ce qui peut être causé par la modélisation d’origine du MÉF de la moelle épinière, obtenue à partir des IRM cadavériques.
Ce projet de recherche a permis de développer un modèle hybride personnalisable du rachis et de la moelle épinière capable de reproduire différentes manœuvres de correction de la scoliose afin d’évaluer biomécaniquement l’effet des contraintes et déformations générées par ces manœuvres sur la moelle épinière et les nerfs rachidiens. À long terme, le modèle biomécanique présenté dans ce projet de recherche permettra d’améliorer les connaissances reliées aux effets neurologiques des manœuvres chirurgicales, ainsi que de concevoir des manœuvres plus sécuritaires.
Scoliosis is a complex spine deformation manifesting itself in the three anatomic planes (Asher et coll., 2006; Morcuende et coll., 2003) as well as on the spinal cord positioning inside the spinal canal (Smorgick et coll., 2012). When deformities reach a certain degree of severity (Cobb angle of 50°), a surgical procedure consisting on a posterior instrumentation and fusion is often required to correct and stop the progression of the deformities (Cavali, 2012). This instrumentation consists in applying complex forces and displacements on the spine through implants such as pedicle screws, hooks and rods in order to straighten the spine. The important forces generated during corrective maneuvers may cause spinal cord and spinal nerves injuries (Fujioka et coll., 2006; Miguel et coll., 2012), which occurs in 0.5% of the instrumented cases (Miguel et coll., 2012). The pathomechanisms and biomechanical impact of the stresses and strains exerted on the spinal cord and nerves during correction maneuvers is not yet well understood (Persson et coll., 2011). Few in vitro studies have addressed this type of injury, producing data on the neurological impact of tensile forces on the spinal cord (Jarzem et coll., 1992; Owen et coll., 1988) and compressive stresses on the spinal nerves (Rydevik et coll., 1991). However, biomechanical studies have not yet studied intra-operative spinal cord injuries.
The objective of this research project was to develop a patient-specific biomechanical model of the spine and the spinal cord, capable of assessing the stresses and strains exerted on the spinal cord and nerves during a scoliosis correction maneuver.
To achieve this objective, first, a simulation protocol based on a hybrid modeling, composed of a flexible multi-body model of the spine as well as a comprehensive finite element model (FEM) of the spine and spinal cord was developed and verified. For this first study, clinical data from a control case (case #1) as well as from a case with per-operative neurological complications (case #2) were utilized. The FEM geometry was personalized to patient-specific configuration by using 3D spine reconstructions from calibrated bi-planar radiographs and an elastic deformation method called the 3D geometric kriging. In order to have a more realistic representation of the FEM of the scoliotic spinal cord, the gray and white matter of the personalized model were displaced towards the concave side of the scoliotic curve, following the data from Smorgick et al. (2012). Mechanical properties of membranous components of the spinal cord were calibrated according to experimental data, mainly from dynamic set-ups. For other components of the model, the original mechanical properties from the FEM were utilized. Surgical instrumentation simulations were performed in a two level manner: first, a multi-body simulation was performed in order to obtain the displacement of vertebral landmarks located on the center of the top and bottom end-plates as well as at the top and bottom of the pedicles. Second, the displacement data obtained were imported to the personalized comprehensive FEM in order to reproduce the instrumentation maneuvers. For each one of the two surgical scenarios, tensile biomechanical parameters such as the internal medullar pressure (IMP) and strain were compared to the critical limits reported on the literature for the spinal cord (0.0067 MPa et 0.1 mm/mm, respectively), and compressive parameters, to the critical limits for spinal nerves (0.01 MPa). For the shear stress analysis, as there were no critical thresholds reported, the simulated results were compared between each simulation.
In order to evaluate the biomechanical effect of the stresses and strains exerted on the spinal cord and nerves during scoliosis correction maneuvers, 3 curve correction maneuvers were individually simulated using the preoperative geometry of a scoliotic patient (Cobb angle of 63˚): 1) a Harrington distraction, 2) a segmental translation maneuver, and 3) a segmental rotation-based instrumentation composed of a rod derotation followed by direct vertebral derotation and localized vertebral distraction. Average biomechanical parameters of IMP, shear stresses, nerve compression and tensile strain were evaluated for each surgical scenario over three regions and compared between each technique.
The personalization algorithm was partially validated during an internship research project at the Laboratoire de Biomécanique de l’Université Aix-Marseille, by using 3D reconstructions based on CT-scan images of a kyphotic patient as well as MRI of 3 patients with different spinal deformities. The preliminary validation process was divided in two steps: First, the patient-specific model was superimposed to its corresponding 3D reconstruction in order to visually evaluate their equivalences. Then, the average and maximum difference between several vertebral and medullary parameters measured on the patient-specific models and their corresponding 3D reconstruction were assessed.
Results from the verification study showed the capacity of the patient-specific hybrid model to detect the possible intra-operative problems related to the stresses and strains generated by the correction maneuvers. The simulated results of this study showed that for case #1 the evaluated tensile and compressive parameters as well as the shear stress were as much as 80% lower as compared to case #2. Moreover, the computed results have the same order of magnitude as the critical thresholds reported in the literature. However, these results might not represent a neurological complication due to the influence of calibration choices for the mechanical properties of the membranous components on the spinal cord FEM on the overall mechanical response of the FEM.
The second study showed that the Harrington distraction measured stresses and strains are important, mainly, in the thoracolumbar region. In the main thoracic region, the translation maneuver induced 15% more shear stress and 25% more strain as well as 62% less compression, compared to the Harrington distraction. Finally, the segmental rotation-based instrumentation generated 18% more deformation at the apical level, as well as 72%, 57% and 7% less IMP, nerve compression and strain on the upper thoracic region, compared to the Harrington distraction.
Finally, the partial validation of the personalisation algorithm shows that, in general, the proposed method is able to reproduce the symptomatic geometry of the spine and spinal cord of the 4 target cases. Important differences of were measured on some geometrical parameters related to the pedicles due to the low quality of the MRI (i.e. between 2.81 and 4.25 mm for the transverse diameter of the spinal canal and between 2.1 and 2.9 mm for the length of the pedicle). Moreover, maximum differences of 2.9 and 2.2 mm were obtained for the sagittal and transverse diameter of the spinal cord, respectively, which may be caused by the original modeling of the spinal cord FEM from cadaveric MRI.
This research project presents a patient-specific hybrid model of the spine and spinal cord, capable of reproducing different scoliosis correction maneuvers, aiming to assess the biomechanical effects of the stresses and strains generated by the instrumentation on the spinal cord and spinal nerves. In the long term, the biomechanical model presented will help to improve the knowledge related to the intraoperative neurological complications as well as to design safer surgical maneuvers.