La scoliose idiopathique de l’adolescence est une pathologie complexe et évolutive du système musculo-squelettique causant une déformation tridimensionnelle (3D) de la colonne vertébrale. Dans le cas de déformations sévères, une intervention chirurgicale est préconisée. Elle consiste habituellement en l’insertion d’implants (généralement des vis pédiculaires) sur la partie postérieure des vertèbres permettant ensuite de réaliser une succession de manœuvres chirurgicales pour corriger les déformations scoliotiques 3D. Des tiges métalliques sont insérées dans les implants afin de guider et maintenir l’alignement corrigé des vertèbres. Cette instrumentation rigide vise à promouvoir la fusion osseuse des segments vertébraux instrumentés, empêchant l’évolution subséquente des courbures scoliotiques.
La multiplication des systèmes d’instrumentation et le développement de nouvelles manœuvres de correction offrent aux chirurgiens un large choix de stratégies d’instrumentation. Il existe aujourd’hui une variabilité importante dans la pratique clinique quant au choix de la densité d’implants (nombre moyen d’implants par vertèbre), et du cintrage des tiges (forme donnée aux tiges par le chirurgien avant d’être insérées dans le patient). Une tendance à utiliser de plus en plus d’implants a été notée alors que des préoccupations en termes de sécurité de l’intervention et de coûts. Le nombre d’implants nécessaires et leur distribution sur le segment instrumenté afin de corriger adéquatement les courbures scoliotiques et assurer une répartition des forces de correction sur l’instrumentation sont cependant méconnus. Les efforts auxquels les tiges sont soumises durant la chirurgie peuvent modifier la forme que le chirurgien avait initialement cintrée afin de guider la colonne vertébrale, mais l’impact du cintrage et de ces déformations intraopératoires sur la correction 3D de la scoliose est méconnu. Il n’a pas été investigué si les tiges se déforment dans les années suivant la chirurgie, et si cela a une implication avec des pertes de correction 3D à long terme.
Les objectifs de ce projet doctoral étaient :
Le premier volet de cette thèse a porté sur l’analyse de l’impact de la distribution des implants sur la capacité à corriger en 3D les déformations scoliotiques et les efforts supportés par l’instrumentation. La revue de 279 cas de scoliose issus d’une base de données multicentrique a permis de documenter la distribution d’implants utilisée lors du traitement chirurgical et son effet sur la correction de la courbure dans le plan coronal. Une nomenclature divisant le segment instrumenté en 10 régions d’intérêt a été définie afin de faciliter l’analyse de la distribution d’implants. Une variabilité importante de la distribution d’implants a été trouvée, en particulier dans les régions périapicales du côté convexe de la courbure, et seule l’augmentation du nombre d’implants dans la région concave apicale était associée, bien que faiblement, à une augmentation de la correction.
Un sondage de chirurgiens a permis d’évaluer la fonction des implants le long de l’instrumentation dans le processus d’exécution des manœuvres de correction et l’effet de la densité des configurations d’implants sur le choix des techniques de correction. 17 chirurgiens expérimentés ont fourni un plan chirurgical pour 5 cas détaillant la configuration d’implants qu’ils préféreraient utiliser, les manœuvres de correction exécutées, et les implants nécessaires pour leur exécution. Ils ont ensuite fourni un deuxième plan avec la configuration d’implants comportant le nombre d’implants minimal qu’ils seraient prêts à utiliser. L’analyse des plans chirurgicaux a permis de montrer que l’absence de vis pédiculaires dans la convexité de la courbure et en particulier dans les régions périapicales était globalement acceptée par les chirurgiens et n’affectait que très peu leurs techniques de correction. Réduire la densité d’implants impliquait toutefois des ajustements de techniques de correction.
Enfin, une étude numérique a permis d’évaluer l’effet biomécanique de la distribution d’implants sur la correction 3D des courbures scoliotiques et sur les efforts supportés par l’instrumentation. Un modèle numérique multicorps a été exploité afin de simuler l’instrumentation chirurgicale de 9 cas scoliotiques par approche quasi-statique. Pour chaque cas, la géométrie 3D des vertèbres et du bassin a été reconstruite à partir de radiographies biplanaires préopératoires calibrées. Les vertèbres étaient modélisées comme des corps rigides connectés les uns aux autres par des joints flexibles représentant l’articulation intervertébrale. La rigidité intervertébrale était issue de la littérature, puis personnalisée au patient à partir de tests d’inflexion latérale. Les vis pédiculaires ont été modélisées par des corps rigides connectés aux vertèbres par des joints flexibles dont la rigidité était issue de tests cadavériques. Les tiges d’instrumentation ont été modélisées selon la méthode des segments finis afin de prendre en compte leur flexibilité et leur comportement élastique a été implémenté. Lors de la simulation d’instrumentation, le pelvis était fixe et les translations de la vertèbre T1 dans les directions antéro-postérieure et médio-latérale étaient bloquées. Les manœuvres de correction ont été simulées par l’application de contraintes en déplacement et par des efforts représentatifs de ceux appliqués par le chirurgien sur les implants et les tiges. Des liaisons cinématiques ont été successivement définies pour représenter la connexion entre les tiges et les implants. Une analyse de sensibilité a permis d’évaluer l’impact des hypothèses de modélisation sur les efforts et la correction 3D des courbures scoliotiques et le modèle a été validé de manière indirecte de par l’adéquation des corrections 3D simulée avec celles obtenues en chirurgie pour des efforts appliqués représentatifs de ceux rapportés dans la littérature. Un plan d’expérience a été utilisé pour générer 128 configurations d’implants représentatives de la variabilité de distribution d’implants existant pour le traitement de la scoliose. La simulation de la chirurgie avec chaque configuration a mis en évidence que certaines configurations à faible densité d’implants, où les implants sont majoritairement placés dans la concavité de la courbure, permettaient une correction 3D similaire aux configurations à haute densité d’implants. L’ajout d’implants, particulièrement du côté convexe de la courbure et dans la région apicale, avait tendance à contraindre le montage et augmenter les efforts supportés par les implants.
Le deuxième volet de cette thèse a porté sur l’impact du cintrage des tiges et de leurs déformations sur la correction 3D des courbures scoliotiques. Des techniques de reconstruction de la forme des tiges pré- et post-insertion ont été développées à partir de tracés intraopératoires de leur forme et des radiographies biplanaires post-instrumentation. L’exactitude et la précision de mesure de chaque méthode ont été évaluées. La précision de mesure des tiges était adéquate compte tenu de l’ampleur des déformations mesurées. Les tiges de 5.5mm en cobalt chrome de 35 patients ont été mesurées, avant leur insertion dans le rachis, pendant l’opération après l’exécution des manœuvres de correction, et une semaine après l’opération. Il a été démontré que les manœuvres de correction induisent un aplatissement du profil des tiges du côté concave. Les deux tiges se retrouvent dans un plan dévié du plan sagittal représentatif du plan de déformation maximale postopératoire de la courbure thoracique. Malgré ces déformations, le cintrage réalisé relativement à la cyphose préopératoire (courbure de la tige concave – cyphose préopératoire) était associé au changement de cyphose résultant de la chirurgie (R²=0.58). Une association plus modeste a été trouvée entre la déflexion différentielle des tiges (déflexion concave – convexe) et la correction de la rotation axiale de la vertèbre apicale (R²=0.28).
Les changements de forme de la colonne vertébrale et des tiges dans les deux ans après la chirurgie ont ensuite été analysés. Les reconstructions 3D du rachis et des tiges de 42 cas opérés avec des tiges de 5.5 mm en titane, cobalt chrome et acier inoxydable ont montré que la correction 3D de la courbure thoracique instrumentée et la forme des tiges restent inchangées deux ans après la chirurgie. La chirurgie implique cependant des ajustements posturaux dans le plan sagittal, associés à des changements de courbures de la colonne vertébrale lombaire non instrumentée.
Les résultats présentés dans le premier volet de la thèse confirment que la distribution des implants impacte de façon significative la capacité à corriger les courbures scoliotiques et les efforts supportés par l’instrumentation, et que le placement d’implants dans les régions périapicales du côté convexe ne semble pas être primordial. L’effet des ajustements de techniques de correction en lien avec une réduction du nombre d’implants reste à être évalué. Au travers du deuxième volet, il a été démontré que les déformations 3D intraopératoires impactent la correction 3D des courbures scoliotiques, mais que le changement de cyphose et la correction de la rotation vertébrale étaient corrélés avec le cintrage différentiel initial des tiges. À long terme, les montages avec des tiges de 5.5 mm en titane, en cobalt chrome ou en acier inoxydable, ont tous permis une correction 3D stable des courbures. La poursuite de cette étude en contrôlant d’autres facteurs relatifs à la technique de correction sur une cohorte plus importante de patients, permettrait d’avoir une meilleure compréhension de l’effet du cintrage et à terme permettrait de prédire le cintrage à réaliser en fonction de la correction espérée.
Ce projet doctoral a donc mis en évidence l’importance de la distribution d’implants et du cintrage des tiges lors de l’instrumentation postérieure du rachis et a permis de développer des recommandations de stratégies de configuration d’instrumentation. La poursuite de ces travaux de recherche permettrait de rationaliser la pratique chirurgicale et guider les chirurgiens pour un traitement optimal de chaque patient atteint de scoliose.
Adolescent idiopathic scoliosis is a complex and progressive pathology of the musculoskeletal system which causes a three-dimensional (3D) deformation of the spine. For severe spinal deformities, a surgical intervention is recommended. It usually consists of implants (generally pedicle screws) inserted in the posterior part of the vertebrae in order to execute a sequence of corrective maneuvers and correct 3D spinal deformities. Metal rods are inserted in the implants, guiding and maintaining the corrected alignment of the vertebrae. This rigid instrumentation system aims to promote bone fusion over the instrumented segments and to stop the progression of deformities.
The multiplication of instrumentation systems and the introduction of new corrective techniques provide surgeons with a large spectrum of instrumentation strategies. Nowadays, there is an important variability of implant density (average number of implants per instrumented level) and rod contouring (shape given to the rods by surgeons) in the clinical practice. An increased number of implants is used for the treatment of scoliosis whereas there are security and economic concerns regarding the use of more implants. The number and distribution of implants required to achieve adequate correction and to ensure sharing of corrective forces in the instrumentation remains unknown. The intraoperative forces supported by the instrumentation during the correction process can change the shape of the rods originally given by the surgeon in order to guide the spine. However, the impact of rod contouring and intra-operative rod deformations on immediate 3D correction are little-known. It has never been investigated whether rod shape changes in the years following surgical instrumentation and whether it is associated with a loss of 3D correction.
The objectives of this doctoral project were:
The first part of this thesis addressed the impact of implant distribution on 3D correction capacity and load sharing in the instrumentation. 279 cases were reviewed from a multicentric database to document implant distribution used for surgical treatment and its effect on coronal curve correction. A nomenclature dividing the scoliotic curve in 10 regions was defined in order to facilitate the study of implant distribution. Greatest variation of implant distribution was seen on the convex side of the curvature. Only the instrumentation at the concave side and, in particular at the apical concavity, was weakly associated with curve correction.
Spine surgeons were surveyed to analyze the role of anchor points to execute specific correction maneuvers and to evaluate the effect of implant density pattern on correction techniques. 17 experienced surgeons provided their preferred posterior correction technique (implant pattern, correction maneuvers and implants used for their execution) and an alternative technique with the minimal implant density they felt acceptable for 5 cases. Surgical planning analysis demonstrated that implant dropout in the convexity and particularly in the periapical regions is accepted by surgeons, with minor influence on correction maneuver planning. Changes in implant density and pattern resulted in adjustments of correction maneuvers.
A numerical study was conducted to assess the biomechanical effect of implant distribution on 3D correction and load sharing in the instrumentation. A multibody numerical model was used to simulate the surgical instrumentation of 9 scoliotic cases with a quasi-static solving approach. For each case, the spinal 3D geometry was reconstructed from calibrated bi-planar radiographs. Each vertebra was modeled as a rigid body and was connected to adjacent vertebrae with intervertebral flexible joints. Intervertebral joints stiffness was based on published data and was then computationally adjusted to the patients’ curvature stiffness assessed on lateral bending radiographs. Pedicle screws were modeled as rigid bodies connected to the vertebrae with flexible joints whose stiffness was obtained from cadaveric experiments. The rods were modeled as elastic flexible bodies using a finite segment method. During surgical instrumentation simulation, the pelvis was fixed and T1 translations were fixed in the anteroposterior and mediolateral directions. Correction maneuvers were simulated by applying motion constrains and forces on implants in a similar fashion as surgeons’ techniques. Kinematic joints were sequentially defined to represent pedicle screws and rods connection. A sensitivity study was performed to assess the impact of certain model input hypothesis on loads and 3D correction and the model was indirectly validated as it adequately predicted surgical correction when applying correction forces in accordance to those reported in the literature. A design of experiments was used to generate 128 virtual implant configurations representative of existing implant patterns used in clinical practice. Surgical simulation with each pattern highlighted that some low-density constructs, with implants mainly placed on the concave side, resulted in similar simulated curve correction as the higher-density patterns. Increasing the number of implants tended to constrain the instrumentation construct, resulting in increased forces on the implants.
The second part of this thesis addressed the effect of rod contouring and rod intra- and postoperative deformation on 3D correction of scoliotic deformities. Reconstruction techniques of the pre- and post-insertion have been developed based on intra-operative rod tracing and on bi-lateral radiographs after instrumentation. The accuracy and precision of each technique were assessed. The 5.5 mm Cobalt-Chromium rods of 35 patients were reconstructed in 3D prior to insertion, after the execution of correction maneuvers and 1 week postoperatively. Correction maneuvers induced an important flattening of concave rods curvature. The accuracy of rod shape measurement was far sufficient considering the reported changes. Both rods ended in a plane deviated from the sagittal plane which was representative of the postoperative main thoracic curve plane of maximal curvature. Despite these deformations, a linear relationship was found between concave contouring with respect to preoperative kyphosis (concave rod curvature – preoperative kyphosis) and the kyphosis change after surgery (R²=0.58). A weaker relationship was found between the differential rod deflection (concave - convex deflection) and the correction of the axial apical vertebral rotation (R²=0.28).
The post-operative changes of the spine and of the rods in the 2 years after the surgery were then evaluated. 3D reconstruction of the spine and of the rods of 42 patients instrumented with 5.5mm titanium, cobalt-chromium and stainless steel rods were performed at 1week post-op and at 2 years’ follow-up. It was shown that there was no significant 3D shape change of the instrumented thoracic spine or of the rods post-operatively for any of the constructs. Sagittal postural changes associated with adjustments of the non-instrumented lumbar spine occurred immediately after the surgery.
The results presented in the first part of this thesis confirmed that implant distribution significantly affects the correction capacity of the 3D scoliotic deformities and the loads supported by the instrumentation. It suggests that implant placement in the convex periapical regions of the curvature is not essential. The effect of correction technique adjustments when reducing implant density remains to be studied. The surgical simulator could be used to simulate surgery with different implant patterns for which a specific correction technique would be defined in order to compare their respective 3D correction and load sharing capacity. The second part of this thesis demonstrated that intraoperative rods deformations impact the 3D correction of scoliotic deformities. However, the post-operative kyphosis and the vertebral rotation correction were correlated with the initial rods differential contouring. Including more cases into this study and controlling for other surgical parameters associated with correction techniques could help to better understand the effect of differential contouring and be able to predict rod contouring with respect to the expected spinal correction. All Titanium, Stainless steel and Cobalt Chromium constructs provided stable 3D thoracic curve correction over time.
This doctoral project highlighted the importance of implant distribution and rod contouring for the posterior correction of scoliotic deformities and enabled the development of implant configuration strategies recommendations. Further research on this topic would help rationalizing clinical practice and guiding surgeons in order to achieve optimal care of each scoliotic patient.