Les douleurs au dos sont un problème de santé publique majeur. En effet, c'est la deuxième cause la plus fréquente de consultation d'un médecin. La jonction sacro-iliaque est reconnue comme étant une des sources de ces douleurs dans 10 à 30% des cas. Les pathologies qui en sont responsables sont principalement dégénératives (sacro-ilites).
Après échec de méthodes plus conservatives (physiothérapie, dénervation, infiltration), l'arthrodèse de la jonction sacro-iliaque est le dernier recours de traitement pour les patients souffrant de telles pathologies. Cette procédure vise à réduire les déplacements intra-articulaires pour permettre à l’os de se former entre les deux facettes de l’articulation afin de la rigidifier entièrement. Plus ces déplacements sont faibles, meilleure et plus rapide sera l’arthrodèse. Traditionnellement, cette chirurgie était pratiquée de manière ouverte, et donc invasive, ce qui rendait peu de patients éligibles à une telle procédure. Cependant, depuis une dizaine d'années, de nouveaux types de dispositifs d'arthrodèse sont apparus. Ils sont canulés afin de permettre une chirurgie percutanée, beaucoup moins invasive, ce qui tend à la rendre plus accessible. Leur surface et leur forme ont également été conçues pour favoriser la croissance osseuse et l’ostéointégration du dispositif.
La jonction sacro-iliaque est une articulation complexe, comportant à la fois des caractéristiques d’une diarthrose (présence de cartilage hyalin) dans sa partie proximale et d’une synarthrose (présence de fibrocartilage) dans sa partie distale. Ses déplacements sont très limités, quelques millimètres en translation et quelques degrés en rotation, ce qui les rend difficiles à caractériser et mesurer. Ceci est accentué par sa position profonde qui complique son accès et son observation, même avec les techniques d’imagerie les plus récentes. Elle assure la transmission des forces entre la partie supérieure du corps et les membres inférieurs, et supporte donc des efforts importants. En cas de dysfonctionnement de la jonction sacro-iliaque (JSI), ses mouvements se révèlent particulièrement douloureux, ce qui nécessite finalement la fusion de l’articulation.
Peu d’études biomécaniques sont à la disposition des chirurgiens pour juger de l'action et de l'efficacité des implants à fusionner l'articulation. À court et moyen termes, l’os n’ayant pas encore pu se développer entre les surfaces condylaires, la réduction du déplacement est entièrement assurée par l’implant, dont les effets sont encore méconnus. Il n'y a à ce jour pas d'outils et d'études disponibles évaluant l'effet des dispositifs et de la stratégie chirurgicale sur le comportement biomécanique de la jonction sacro-iliaque, en particulier leur capacité à réduire les déplacements intra-articulaires.
L'objectif du projet est donc de développer un modèle par élément finis (MÉF) du pelvis et de l’exploiter afin d'évaluer l'effet de l'instrumentation de la jonction sacro-iliaque sur les déplacements intra articulaires. L’hypothèse testée est que l’instrumentation de la jonction sacroiliaque permet de réduire les déplacements intra-articulaires d’au moins 50%, et que les paramètres de la chirurgie ont une influence significative (>10%) sur la capacité d’une configuration d’implant à stabiliser l’articulation.
Ce modèle est constitué du sacrum et des deux os iliaques reconstruits à partir des tranches CT-scan d’un homme sain du 50e percentile. Les os sont divisés en deux parties : une partie centrale d’os trabéculaire entourée d’une couche d’os cortical d’épaisseur variable. Le modèle comprend également les principaux ligaments du pelvis qui ont été reconstruits à partir de figures anatomiques. Une attention particulière a été apportée à la modélisation de la jonction sacroiliaque. Des éléments triangulaires et tétraédriques de faibles longueurs caractéristiques (0,4 à 3mm) ont été utilisés afin de pouvoir représenter fidèlement la géométrie complexe du pelvis. Le modèle comporte au total environ 90,000 éléments et 420,000 nœuds. Les actions musculaires ont été négligées.
Le modèle a ensuite été adapté pour correspondre aux conditions de la présente étude. Des tests sur spécimens cadavériques ont été effectués pour collecter des données expérimentales nécessaires pour le calibrage des propriétés mécaniques dans des cas de chargement physiologiques quasi statiques, et pour la validation du modèle. Deux pelvis ont donc été prélevés puis ont subi trois séries de tests, la première sans instrumentation, qui a servi au calibrage des propriétés mécaniques du modèle, la deuxième avec une instrumentation à une vis et la troisième avec une instrumentation à deux vis qui ont servi à sa validation.
Le MÉF a ensuite été mis en œuvre de manière à reproduire les conditions expérimentales. A partir de la première série de mesures obtenues expérimentalement, les propriétés matériaux des ligaments ont été calibrées par méthode inverse. Une méthode itérative par dichotomie a été utilisée pour ajuster le module d’Young des ligaments pour que le déplacement du centre du plateau sacré corresponde à celui mesuré lors des tests expérimentaux. La valeur de 40MPa obtenue après 6 cycles de dichotomie a été implémentée dans le modèle et utilisée pour toutes les simulations subséquentes. Les simulations avec instrumentation ont ensuite été confrontées aux deux autres séries de données expérimentales pour l’évaluation du modèle.
Le modèle non instrumenté est capable de reproduire les mouvements physiologiques du pelvis, notamment le mouvement de nutation du sacrum, tels qu’ils sont reportés dans la littérature. Après ajout du dispositif d'arthrodèse, le mouvement du sacrum est en partie bloqué ce qui engendre une diminution du déplacement de S1 mesuré. La différence entre la réduction du déplacement du plateau sacré simulée et expérimentale est inférieure à 3%. Le modèle a donc été considéré comme adapté à la présente étude.
Six configurations d’instrumentation recommandées par le fabricant (Medtronic) ont ensuite été testées afin de caractériser l’action biomécanique des implants et l’influence de paramètres de la chirurgie. Les six scénarios simulés diffèrent entre eux de par l’orientation de la vis, son point d’insertion, et la présence ou non d’une deuxième vis. Les conditions aux limites reproduisent celles utilisées expérimentalement, c’est-à-dire la partie inférieure des os iliaques fixée, et un chargement appliqué verticalement au centre du plateau sacré de manière quasi-statique grâce à l’utilisation d’un schéma de relaxation cinétique. Trois niveaux d’effort ont été utilisés : 600, 800 et 1000N.
La réduction du déplacement local de la JSI entre la référence non instrumentée et les six scénarios d’instrumentation a été calculée en rotation et en translation ce qui a permis d'évaluer l'effet de l'ajout des dispositifs sur la biomécanique de la jonction sacro-iliaque, mais également l'influence des paramètres d’instrumentation que l’on a fait varier.
L'ajout des vis permet de réduire les déplacements intra articulaires en translation de 13.9 à 57.7%, et les déplacements en rotation de 18.9 à 48.9% suivant le scénario d’instrumentation et l'amplitude du chargement. Les déplacements locaux en translation sont 32% plus faibles lorsqu’un implant est placé au point d’insertion proximal par rapport à une instrumentation avec un implant distal. L’ajout d’une deuxième vis n’impacte pas de manière significative les déplacements intraarticulaires. Dans le cas d’instrumentation à une seule vis, l’orientation a une influence négligeable, mais à deux vis, une orientation médiale permet de réduire de 10% supplémentaires les translations locales par rapport à une orientation oblique.
L'analyse des résultats a permis de mettre en évidence que le paramètre le plus influent sur la capacité d'une instrumentation à réaliser une arthrodèse est le point d'insertion de la vis. Ceci peut s'expliquer biomécaniquement par le fait que le sacrum a un mouvement physiologique principalement de rotation dans le plan sagittal. Pour réduire ce mouvement, il est donc nécessaire de placer la vis le plus loin possible de son centre instantané de rotation. L'orientation de la vis est quant à elle très peu influente sur la réduction des déplacements. Pour les simulations avec deux vis, la vis la plus éloignée du centre instantané de rotation du sacrum reprend l’essentiel des efforts, avec peu de différence par rapport à une instrumentation à une vis.
L’instrumentation de la jonction sacro-iliaque permet de réduire de plus de moitié les déplacements intra-articulaires (jusqu’à 55 %), mais uniquement dans le cas où une vis a été positionnée au point d’insertion proximal. La première partie de l’hypothèse testée dans le cadre de cette étude n’est donc qu’en partie vérifiée. Parmi les trois paramètres testés, seul le point d’insertion possède une influence significative, ce qui confirme partiellement la deuxième partie de l’hypothèse de recherche.
Il y a des limites à considérer pour cette étude. Premièrement, les tests expérimentaux n’ont porté que sur deux spécimens relativement âgés. Un échantillon plus large permettrait un calibrage et une validation du MEF plus fins et rigoureux. Deuxièmement, les montages n'ont été testés que pour un chargement vertical appliqué au centre du plateau sacré. Tester les dispositifs de fusion sur une plus grande variété de cas de chargement, tels que des chargements de torsion ou de flexion, permettrait une meilleure compréhension et évaluation de leurs effets biomécaniques. Il serait également intéressant de tester un plus grand nombre de scénarios d’instrumentation en faisant varier des paramètres spécifiques au patient tels que la qualité osseuse ou l'épaisseur de l'os cortical. Simuler une plus grande variété de trajectoires permettra éventuellement une analyse statistique capable de quantifier l'effet des paramètres de l’instrumentation sur la réduction des déplacements au sein de la jonction sacro-iliaque. Enfin, l’insertion de la vis et l’interface vis/os ont été idéalisées. La modélisation n’a pas tenu compte des éventuels endommagements (fissures, micro-fractures) qui peuvent être provoqués lors de l’insertion du dispositif. Un raffinement du modèle pour les y inclure pourrait fournir des résultats plus précis et réalistes, ainsi qu’une meilleure description des phénomènes locaux qui pourraient influencer la qualité d’une arthrodèse.
Cette étude a permis de mettre au point un premier outil d'évaluation de dispositifs de fusion de la jonction sacro-iliaque. On a donc pu tester différents scénarios de chirurgie et évaluer biomécaniquement les effets des vis sur le comportement de l'articulation et d'estimer leur influence sur la réalisation d'une arthrodèse. Cependant, le nombre de configurations testées est restreint et seuls des cas de chargement de compression ont été simulés. Les conclusions que nous pouvons tirer de la présente étude sont donc limitées, mais elle pourrait être poursuivie de manière à obtenir un échantillon de données plus important. Cela permettrait finalement d'émettre des recommandations pour améliorer à la fois le design des dispositifs de fusion, mais également la technique d’instrumentation de la jonction sacro-iliaque.
Low back pain (LBP) is a major public health concern. Indeed, it is the second most frequent reason patients consult a physician. The sacroiliac joint (SIJ) is a known pain generator, affecting 10 to 30% of patients suffering chronic LBP, with pathologies such as degenerative sacroiliitis or sacroiliac joint disruption. After conservative treatment (physiotherapy, denervation, injections) failure, SIJ arthrodesis is the last resort. The main objective of this procedure is to reduce the intraarticular displacements in order to allow bone ingrowth between the two condylar surfaces and, eventually, fuse the articulation. The lower those displacements are, the better the arthrodesis is. Traditionally, this surgery was performed using an open procedure which was invasive and for which few patients were eligible. The last decade has seen the advent of new kinds of SIJ fusion devices. As they are cannulated, they allow percutaneous minimally invasive surgeries accessible to a larger number of patients. Their surface and shape are designed to promote bone ingrowth and thus improve the device osseointegration.
The SIJ is a complex articulation. It has characteristics of both a diarthrosis (hyaline cartilage) in its proximal part and a synarthrosis (fibrocartilage) in its distal part. SIJ displacements are small (a few millimeters in translation and a few degrees in rotation) which render their measurement and characterization problematic. The SIJ deep location makes it even harder by complicating its access and observation despite the most recent imaging techniques. The sacroiliac joint transmits upper body weight to the lower limbs and thus endures heavy loads. In case of disruptions, SIJ motions are painful and ultimately require an arthrodesis.
Currently, surgeons rely on few biomechanical studies to assess the device ability to perform an arthrodesis. At short and mid-terms, the implants alone ensure the SIJ stabilization since the bone growth cannot actually fuse the articulation yet. However the biomechanics of the instrumentation is quite unknown and the published data is sparse.
The objective of this project was to assess the SIJ instrumentation effects on the intra-articular displacements using a comprehensive finite element model (FEM) of the pelvis.
The tested hypothesis is that the SIJ instrumentation is able to reduce by more than 50% the articular motions and that the instrumentation parameters have a significant (>10%) influence on one configuration ability to reduce the SIJ displacements.
The FEM includes the sacrum and the two iliac bones which were reconstructed from a healthy 50th percentile male. They were separated into two parts: a trabecular core surrounded by a cortical layer with region-specific thicknesses. The model also includes the major pelvic ligaments which were reconstructed from anatomic descriptions. Special care was given to the SIJ modelling. Triangle and tetrahedral elements with small characteristic lengths (0.4 to 3 mm) were used in order to conform to the complex pelvic geometry. The model includes over 90,000 nodes and 420,000 elements. Muscle actions were neglected.
Cadaveric tests were performed to acquire pelvis load-displacement behavior data in physiological conditions. Two specimen were dissected and three series of tests were performed. The first one, without instrumentation, provided data for the model calibration. The second and the third with respectively one and two screws provided data for the model evaluation.
The experimental conditions were simulated using the FEM. The ligament mechanical properties were calibrated using an inverse method with the data obtained from the first set of experimental tests. An iterative bisection method was used to adjust the ligament Young modulus in order to match the simulated S1 endplate displacement with the experimental one. Six cycles of bisection gave a 40 MPa Young Modulus which was adopted for the remaining simulations. The simulations including the instrumentation were confronted to the two other series of experimental tests for the model evaluation.
The non-instrumented model was able to reproduce the physiologic pelvic motion, such as the sacral rotation (nutation) observed experimentally and in agreement with the literature. After instrumentation, the sacral rotation was partly blocked. The measured S1 endplate displacement was thus reduced. The difference between the simulated vs. the experimental S1 endplate displacement reduction was below 3%. The model was considered suitable for the present study.
Six instrumentation configurations recommended by the manufacturer (Medtronic) were then computationally tested in order to characterize the implant biomechanical effects and the influence of the surgery parameters. The parameters that were tested were the screw orientation (medial or oblique), insertion point (proximal or distal) and the number of screws (one or two). The boundary conditions were set in order to mimic the experimental ones, i.e. the bottom part of the iliac bones fixed and a vertical load applied on the S1 endplate. To simulate a quasi-static situation, a kinetic relaxation scheme was used. Three loading levels were applied: 600, 800 and 1000N.
The local SIJ displacement reduction between the uninstrumented and the six simulated configurations was computed in translation and rotation. It allows to assess the implant biomechanical effects on the SIJ and the instrumentation parameters influence.
Instrumentation with SIJ fusion device reduced the intra articular displacements in translation from 13.9 to 57.7%, and the local rotation from 18.9 to 48.9% depending on the configuration and the loading level. The screw insertion point was found to have a dominant effect on the reduction of the displacement. The screw located farther from the instantaneous rotation center was found to lower the rotation motion of the sacrum with respect to the ilium more efficiently. The screw orientation did not prove to be influential. Adding a second screw near the center of rotation did not improve the SIJ stabilization.
SIJ instrumentation thus allowed to reduce by more than 50% the intra articular displacements, but only in the case where one implant was positioned at the proximal insertion point. Among the three tested parameters, the insertion point was the only one that has a significant influence. Therefore, the research hypotheses are partially confirmed.
Several limitations are to be considered in the current study. First, the experimental tests were performed on only two rather old specimens. More tests would allow better and more accurate FEM calibration and validation. Then, the screws were tested only in the case of a vertical load applied to the S1 endplate. Testing the SIJ fusion devices using different loading cases (bending, torsion…) would allow for a better understanding and characterization of their biomechanical effects. Simulating more instrumentation scenarios and testing various patient-specific parameters such as the bone quality or the cortical bone thickness would also be relevant for the same reasons. Assessing a larger sample of screw trajectories would also allow to perform a statistical analysis and eventually quantify and predict the effects of the instrumentation parameters on the SIJ displacements reduction using a statistical model. Finally, the device insertion and the bone/screw interface were idealized. Potential damages (cracking, micro-fractures…) which might be provoked by the insertion of the screw were not modelled. Including them in a refined version of the model would allow to give more precise and more realistic results as well as a better description of the local phenomena which might influence the quality of an instrumentation.
This study was a first attempt to build a tool to assess SIJ fusion devices. It allowed to document the currently rather poorly-known biomechanics of the SIJ instrumentation. Pursuing the study will eventually allow to give surgeons recommendations for their decision-making when planning a SIJ arthrodesis procedure.