Les déformations rachidiennes telles que la scoliose sont des pathologies du système musculo-squelettique qui nécessitent un traitement chirurgical d’instrumentation dans les cas de courbures pathologiques sévères (angle de Cobb > 40° pour les cas de scoliose) (Weinstein 2001; Morcuende and Weinstein 2003). Cette intervention d’instrumentation consiste à fixer des implants sur les vertèbres et redresser le rachis à l’aide de tiges métalliques, ce qui mène à la fusion permanente du rachis. Bien que ce traitement permette une correction efficace des courbures pathologiques du rachis (Weinstein 2001), la survenue de complications postopératoires peut parfois entraîner une révision de l’instrumentation. La première cause de révision est la cyphose jonctionnelle proximale (CJP) (Schairer, Carrer et al. 2013), avec une prévalence entre 20% et 43% (Yang and Chen 2003; Yagi, King et al. 2012). La CJP se manifeste comme une hypercyphose des vertèbres adjacentes au-dessus de l'instrumentation. Plusieurs études rétrospectives ont été réalisées afin d’en identifier les causes. Les facteurs de risque associés à la survenue et à la progression de la CJP incluent la dissection proximale des tissus mous postérieurs, la dégénérescence de la capsule articulaire, l’équilibre sagittal pré- et postopératoire, la thoracoplastie, la qualité osseuse, l'obésité et la raideur de l’instrumentation (Glattes, Bridwell et al. 2005; Kim, Bridwell et al. 2005; DeWald and Stanley 2006; Kim, Lenke et al. 2007; Yagi, King et al. 2012). Ainsi, on rapporte que la CJP pourrait être associée au nombre de vertèbres instrumentées, au type d’implant proximal ou de manière plus générale à la configuration de l'instrumentation au niveau de la vertèbre proximale instrumentée. Les pathomécanismes de la CJP demeurent toutefois encore controversés. En effet, les conclusions rapportées dans la littérature sont parfois contradictoires et n’arrivent pas à isoler l’effet spécifique d’une variable donnée par rapport à la CJP. En outre, aucune étude biomécanique n’a rapporté l'impact biomécanique de différentes variables de la chirurgie rachidienne sur les indices géométrico-mécaniques reliés à la CJP.
L’objectif de ce projet de maîtrise a donc été de développer un modèle biomécanique de la chirurgie d’instrumentation afin d’analyser et comprendre les pathomécanismes postopératoires du segment jonctionnel proximal du rachis. Six variables chirurgicales pouvant augmenter potentiellement le risque de survenue de la CJP ont ainsi été analysées.
Pour atteindre cet objectif, un modèle multicorps a été développé et validé pour simuler numériquement les instrumentations chirurgicales de six patients adultes atteints de CJP. Pour chaque cas, la géométrie tridimensionnelle du rachis a été reconstruite à partir des deux radiographies calibrées biplanaires préopératoires. Dans ces modèles, chaque vertèbre est considérée comme un corps rigide et elle est connectée aux niveaux adjacents par des joints flexibles intervertébraux dont la raideur a été obtenue de la littérature et ensuite personnalisée pour le patient donné. La raideur de connexion entre les implants et l’os a été modélisée en utilisant les données obtenues in vitro. Concernant les conditions limites du modèle, au niveau proximal on a ajouté des ressorts qui modélisent l’action des muscles extenseurs tandis que le bassin a été fixé. Les modèles préopératoires ainsi développés ont été validés en comparant les résultats chirurgicaux réels avec les résultats obtenus en simulant les procédures exécutées pour chaque patient. Pour chaque cas, 384 simulations supplémentaires ont ensuite été effectuées pour étudier l'influence de six facteurs biomécaniques sur la CJP. On a testé quatre différentes procédures de résection et de dissection proximale, trois types d'implants utilisés sur la vertèbre proximale instrumentée, quatre courbures sagittales préopératoires des tiges, deux diamètres proximaux des tiges, deux niveaux choisis comme étant la vertèbre proximale instrumentée ainsi que deux différents équilibres sagittaux postopératoires. Quatre variables biomécaniques de réponse concernant le segment jonctionnel proximal du rachis ont été analysées : l'angle jonctionnel proximal, la cyphose thoracique T4-T12, ainsi que la force et le moment fléchissant résultant sur le segment jonctionnel proximal.
La simulation de la facettectomie bilatérale complète, de la résection des ligaments supra- et interépineux, et de leur combinaison a augmenté l'angle jonctionnel proximal (respectivement de 8%, 23% et 42%), la cyphose thoracique (3%, 8% et 15%) ainsi que la force (6%, 15% et 28%) et le moment de flexion (11%, 31% et 58%) résultant sur le segment jonctionnel proximal. Comparée aux vis pédiculaires, l’insertion de crochets transverses au niveau de la vertèbre supérieure instrumentée a réduit la cyphose thoracique de 8% et les trois autres indices géométrico-mécaniques d'environ 25%. L'utilisation de tiges avec un diamètre proximal réduit de 5.5 à 4 mm a diminué l'angle jonctionnel proximal (5%), la force (5%) et le moment de flexion proximal (6%), tandis qu’elle a augmenté légèrement la cyphose thoracique (1%). L'augmentation de la courbure sagittale de la tige de 10° à 20°, 30° et 40° a augmenté l'angle jonctionnel proximal (de 5%, 10% et 16%), la cyphose thoracique (9%, 18% et 27%) ainsi que la force (4%, 9% et 13%) et le moment de flexion proximaux (7%, 14% et 21%). En instrumentant le rachis proximal un niveau de moins que celui choisi lors de la chirurgie, ceci a augmenté l'angle jonctionnel proximal (18%), la cyphose thoracique (9%), la force (16%) et le moment de flexion proximaux (25%). Finalement, par rapport à l’équilibre sagittal postopératoire réel, une balance postérieure de 20 mm a augmenté l'angle jonctionnel proximal (16%), la cyphose thoracique (8%) ainsi que la force (37%) et le moment de flexion proximaux (22%).
On peut alors conclure que la préservation des éléments ostéo-ligamentaires sus-jacents à l’instrumentation, l'utilisation de crochets transverses sur la vertèbre proximale instrumentée, la diminution de la courbure sagittale préopératoire des tiges, la réduction du diamètre proximal des tiges, la translation antérieure de l’équilibre sagittal suite à la chirurgie et l’extension proximale de l’instrumentation ont diminué significativement les quatre indices biomécaniques reliés aux pathomécanismes du segment jonctionnel proximal (valeur-p de l'ANOVA < 0.05). Les connaissances acquises par cette recherche ont donc aidé à mieux comprendre les facteurs biomécaniques de risques de la CJP. En perspective, un affinement ultérieur du modèle biomécanique permettrait d’évaluer les risques associés à différentes stratégies chirurgicales par rapport à d’autres problèmes de défaillances jonctionnelles proximales (Proximal Junctional Failure).
Spinal deformities such as scoliosis are a group of musculoskeletal disorders requiring surgical instrumentation in cases of severe pathological curvatures (e.g. Cobb angle > 40° for scoliosis) (Weinstein 2001; Morcuende and Weinstein 2003). Spinal instrumentation is a surgical procedure that stabilizes the spine and fuses vertebrae with implanted devices, such as metallic rods, screws and hooks. Although this treatment allows effective correction of pathological spinal curvatures (Weinstein 2001), the occurrence of postoperative complications can sometimes lead to a revision of the instrumentation. The first cause of revision surgery is the proximal junctional kyphosis (PJK) (Schairer, Carrer et al. 2013), having a prevalence between 20% and 43% (Yang and Chen 2003; Yagi, King et al. 2012). PJK appears as a hyperkyphosis of non instrumented proximal vertebrae. Several retrospective studies have been conducted to identify its causes. Risk factors related to PJK occurrence and progression include the proximal dissection of the posterior soft tissues, the joint capsule degeneration, the pre- and postoperative sagittal balance, the thoracoplasty, the bone quality, the obesity and the stiffness of the instrumentation (Glattes, Bridwell et al. 2005; Kim, Bridwell et al. 2005; DeWald and Stanley 2006; Kim, Lenke et al. 2007; Yagi, King et al. 2012). It is also reported that PJK could be associated to the number of instrumented vertebrae, the type of proximal implant or the construct configuration at upper instrumented vertebra. However, pathomechanisms of PJK are still controversial because findings reported in the literature are sometimes contradictory and not able to isolate the effect of a specific variable on PJK. In addition, no computational study has reported the impact of several surgical variables on biomechanical indices related to PJK.
The objective of this Master project was therefore to develop a biomechanical model of spinal instrumentation in order to analyze and better understand the postoperative pathomechanisms of proximal junctional spinal segment. Six surgical variables potentially increasing the risk for PJK occurrence have been analyzed.
In order to achieve this objective, a multibody model was developed and validated to computationally simulate surgical instrumentations of six adult patients affected by PJK. For each case, the spinal tridimensional geometry was reconstructed using two calibrated preoperative radiographs (postero-anterior and lateral). In these models, each vertebra was considered as a rigid body and was connected to the adjacent levels by intervertebral flexible joints whose stiffness was obtained from the literature and then customized for each patient. The stiffness of implant-bone connection was modeled using data from an in vitro study. Regarding the boundary conditions of the model, proximal springs have been included in order to simulate the extensor muscles while the pelvis was fixed. Preoperative models developed in this manner were validated by comparing postoperative radiographic outcomes with postoperative outcomes simulated for each patient-specific surgery. For each case, 384 additional simulations were then performed to investigate the influence of six biomechanical factors on PJK.
We tested four different procedures of proximal resection and dissection, three types of implants at upper instrumented vertebra, four sagittal preoperative rod curvatures, two proximal rod diameters, two levels selected as upper instrumented vertebra and two postoperative sagittal balances. Four biomechanical response variables regarding the proximal junctional spinal segment were analyzed: the proximal junctional angle, the thoracic kyphosis T4-T12, as well as the force and the bending moment resulting on the proximal junctional spinal segment.
Simulation of bilateral complete facetectomy, posterior supraspinous and interspinous ligaments dissections and their combination increased the proximal junctional angle (by 8%, 23% and 42%, respectively), the thoracic kyphosis (3%, 8% and 15%) as well as the flexion force (6%, 15% and 28%) and moment (11%, 31% and 58%) acting on the proximal junctional spinal segment. Compared with screws, the use of transverse process hooks at upper instrumented vertebra decreased the thoracic kyphosis by 8% and the other three biomechanical indices by about 25%. The use of rods with proximal diameter reduced from 5.5 mm to 4 mm decreased the proximal junctional angles (5%), the flexion force (5%) and moment (6%), while it slightly increased thoracic kyphosis (1%). Increasing sagittal rod curvature from 10° to 20°, 30° and 40° increased the proximal junctional angle (by 5%, 10% and 16%), the thoracic kyphosis (9%, 18% and 27%) as well the flexion force (4%, 9% and 13%) and moment (7%, 14% and 21%). By instrumenting the proximal spine one level lower than that selected at surgery, it increased the proximal junctional angle (18%), the thoracic kyphosis (9%), the flexion force (16%) and moment (25%). Lastly, compared to the real postoperative sagittal balance, a posterior balance of 20 mm increased the proximal junctional angle (16%), the thoracic kyphosis (8%), as well as the flexion force (37%) and moment (22%).
In conclusion, preserving posterior intervertebral elements above the instrumentation, the use of transverse process hooks at upper instrumented vertebra, reducing the sagittal preoperative rod curvature, the use of tapered transition rods, an anterior translation of the sagittal balance following surgery and the proximal extension of the instrumentation significantly decreased the four biomechanical indices related to the pathomechanisms of proximal junctional spinal segment (ANOVA p-value < 0.05). Knowledge acquired by this research has therefore helped to better understand the biomechanical risk factors for PJK. In perspective, further refining of the biomechanical model would allow to assess the risks for other proximal junctional complications such as Proximal Junctional Failure.