La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) se caractérise par une dégénérescence des muscles causant un lourd handicap et le décès vers l'âge de 20 ans. Quatre-vingt-dix pour cents des patients atteints de DMD développent une déformation rachidienne, dont le deux tiers progressent rapidement en parallèle avec la détérioration musculaire et la poussée de croissance. Il y a consensus pour envisager une chirurgie précoce chez ces patients, mais il n'existe aucun modèle ou méthode fiable permettant d'évaluer les facteurs pouvant être associés à une telle progression. Une nouvelle voie thérapeutique fréquemment utilisée dans la DMD est le traitement avec du déflazacort. Ce corticostéroïde ralentit la perte de la force musculaire, mais cause plusieurs effets secondaires (la prise de poids, la diminution de la croissance, le changement de comportement, l'augmentation de l'appétit, l'ostéoporose et la formation de cataractes). Peu de travaux ont porté sur l'effet du traitement sur les déformations rachidiennes. Selon deux études, ce médicament réduit l'incidence du recours à la chirurgie. La prévalence et la sévérité des courbures scoliotiques restent néanmoins à être déterminées chez les patients traités avec du déflazacort.
Dans le but d'étudier les courbures dans la scoliose idiopathique, différents outils de modélisation biomécanique du rachis ont été développés. Ces modèles intègrent la croissance et la modulation de croissance à la méthode des éléments finis, et d'autres en.. incluant la modélisation des muscles et du contrôle neuromusculaire. Par contre, aucun modèle n'inclut à la fois la croissance, la modulation de croissance, les muscles et leur contrôle moteur. De plus, aucun modèle n'a été spécifiquement proposé pour les déformations rachidiennes dans la DMD.
Ce projet de doctorat fait suite aux travaux sur les déformations scoliotiques, effectués par le groupe de recherche de l'Hôpital Sainte-Justine et de l'École Polytechnique de Montréal. Il vise à étudier les déformations du rachis spécifiquement dans la pathologie de la DMD afin de répondre aux questions de recherche :
« Q1. à l'adolescence, le traitement avec du déflazacort modifie-t-il l'histoire naturelle des déformations rachidiennes dans la DMD;
Q2. les charges induites par la gravité et par un affaiblissement musculaire du tronc sont-elles suffisantes pour moduler la croissance en longueur des vertèbres entraînant ainsi l'accentuation de la progression des déformations rachidiennes dans la DMD;
Q3. une simulation biomécanique de la croissance et de la modulation de croissance des vertèbres incluant le système neuromusculaire modélise-t-elle l'effet à moyen terme (1 an) de pathomécanismes reliés aux déformations rachidiennes progressives dans la DMD; »
et est divisé en deux volets complémentaires clinique et biomécanique. Le volet clinique s'intéresse à l'impact du traitement avec du déflazacort sur les déformations géométriques rachidiennes. Le second volet du projet vise à développer une modélisation par éléments finis intégrant la croissance, la modulation de croissance, les muscles et leur contrôle moteur. Par la suite, le modèle est exploité pour examiner des pathomécanismes possiblement impliqués dans les déformations rachidiennes progressives de la DMD.
Une étude rétrospective des dossiers cliniques et des radiographies de 60 patients atteints de DMD a permis de déterminer une prévalence de 49% des déformations rachidiennes suite à un traitement avec du déflazacort. La prévalence obtenue est considérablement inférieure à celle décrite dans la littérature en l'absence de cette médication (90%). La sévérité des déformations rachidiennes observée dans le cadre de ce doctorat est également moins importante que celles signalées dans la littérature avant cette thérapie. Cette dernière engendre aussi des patrons de déformations géométriques rachidiennes différents puisqu'une seule courbure en forme de « C » typique des scolioses neuromusculaires a été observée chez les patients traités. Par ailleurs, peu de cyphoses sévères et peu d'obliquités du bassin ont été constatées, ce qui diffère avec les contrôles décrivant l'histoire naturelle de la maladie. L'étude n'a pu démontrer si le traitement avec du déflazacort arrête les déformations rachidiennes ou les ralentit et ainsi des études longitudinales devraient se poursuivre pour le déterminer.
Dans la seconde partie du projet, une modélisation de la croissance et de la modulation de croissance a été combinée à un modèle des muscles et du système neuromusculaire. Ce modèle a permis dans un premier temps d'examiner différents niveaux d'infiltration de tissus adipeux dans les muscles érecteurs spinae. Les simulations ont reproduit les déformations rachidiennes évoluant du groupe 1 au groupe 2 de la classification de Gibson et Wilkins. Par la suite, différentes hypothèses pathogéniques impliquant la détérioration musculaire et les paramètres de croissance ont été testées avec le modèle. Dans ce dernier, certains muscles et des paramètres de croissance ont démontré avoir une influence significative sur des indices cliniques caractéristiques des stades de l'évolution des courbures scoliotiques. Dans la voie progressive des déformations rachidiennes dans la DMD proposées dans la littérature, les conditions instables pourraient être induites par une infiltration asymétrique de tissus adipeux dans les muscles iliocostalis et longissimus. Cette infiltration entraînerait une déformation cyphotique qui progresserait lors de la poussée de croissance. Par la suite, une obliquité du bassin surviendrait par un affaiblissement asymétrique des muscles rectus abdominis, obliquus externus et de la ceinture pelvienne. La rotation du rachis débuterait par après avec un affaiblissement des muscles rectus abdominis, obliquus externus et obliquus internus. Les déformations rachidiennes dans la DMD sembleraient donc se développer selon une origine multifactorielle impliquant l'activité musculaire et des facteurs de croissance osseuse. Les principales limites du modèle se situent principalement au niveau de l'ajustement des paramètres de modélisation puisqu'il y a peu de données sur lesquelles se baser. Des études expérimentales devront être entreprises afin de préciser les valeurs des paramètres de modélisation, puis éventuellement de parfaire celles-ci.
L'étude clinique et la modélisation ont permis d'investiguer les déformations rachidiennes dans la DMD avec et sans traitement avec du déflazacort. Pour la première fois, un modèle par éléments finis du tronc a été développé spécifiquement pour la pathologie de la DMD. Par rapport aux autres approches de modélisation, celle-ci contribue à un avancement méthodologique dans le domaine biomédical puisqu'aucun autre modèle n'inclut à la fois la croissance et la modulation de croissance osseuses ainsi que les muscles et leur contrôle moteur.
Duchenne muscular dystrophy (DMD) is the most common form of muscular dystrophy. It is characterized by a progressive weakness of the muscles, which causes a severe handicap and decreased life expectancy to around 20 years. Ninety percent of patients with DMD will develop a spinal deformity, two thirds of which will rapidly develop in parallel with evident muscular impairment and adolescent growth spurt. It is generally accepted to consider early surgery in such cases, but no predictive method or model allows the identification of factors that could be associated with such progression. Nowadays, a treatment often proposed to DMD patients is a new therapeutic drug called deflazacort. This corticosteroid has shown with documented evidence to slow down the loss of muscle strength, but many side effects were also revealed (weight gain, growth suppression, osteoporosis, increased appetite, behavior changes and cataract formation). Few studies have looked at the effect of this drug on scoliotic deformities. Two research papers reported that the number of scoliosis surgeries decreased for patients treated with deflazacort. The prevalence and the severity of scoliotic deformities following a deflazacort treatment however still need to be established.
Biomechanical models have been used to study adolescent idiopathic scoliosis by integrating either vertebral growth and growth modulation or muscles and their control. No study has yet combined both vertebral growth and growth modulation as well as the.. neuromuscular behaviour. In addition, no biomechanical model has so far been developed to investigate spinal deformities in DMD.
This thesis is a continuation of Sainte-Justine Hospital and École Polytechique de Montréal research activities on scoliosis. This project aims at studying the spinal deformities that specifically develop in DMD disorder and encloses two complementary clinical and biomechanical sections. The clinical section evaluates the impact of deflazacort treatment on the scoliotic deformities in teenagers. The second section develops a finite element model of growth, growth modulation, muscles and motor control and studies possible pathomechanisms involved in progressive spinal deformities in DMD. The specific objectives of this thesis were to:
1. determine if the deflazacort treatment has modified the prevalence, the severity of the spinal deformities and/or the curve patterns, in comparison to series reported before the recent advent of drug therapy in this disorder;
2. develop a finite element model of the trunk integrating vertebral growth and growth modulation as well as the muscles and the control process generating muscle recruitment and forces;
3. investigate, with the developed finite element model, two features that could be implicated in the proposed pathogenesis hypotheses: a) asymmetrical fat infiltration of trunk muscles, b) growth parameters following a deflazacort treatment.
The medical and radiographic charts of 60 patients with DMD followed at a paediatric neuromuscular clinic were reviewed retrospectively. The prevalence of scoliotic deformities was 49% in the patients treated with deflazacort, which is considerably lower than the one reported before the advent of corticosteroid therapy (90%). The severity of scoliotic deformities was much lower than the ones described in previously reported historical series. Curve patterns were different than the ones reported in the natural history as only one C-shape curve pattern with pelvic obliquity, typical of neuromuscular scoliosis was found. Incidence of kyphosis and pelvic obliquity was very low, which is also in contrast with previously reported cohorts. The study in this thesis was not able to determine if deflazacort definitely halts the progression of scoliosis or if it only slows down its progression.
In the second section of this thesis, modeling of vertebral growth and growth modulation was combined to muscles and control process generating muscle recruitment and forces. With this finite element model, asymmetrical loading from the erector spinae muscles were studied and spinal configurations evolving from group I to II of Gibson & Wilkins classification were reproduced. Pathogenesis hypotheses possibly implicated in progressive spinal deformities in DMD were also investigated. In the model, particular muscles and growth parameters had a significant influence on clinical indices which characterized different stages of the spinal deformities in DMD. In the pathway of progressive spinal deformities in DMD proposed in the literature, the unstable conditions could be initiated by an asymmetrical fat infiltration in the Iliocostalis and the Longissimus on the right and on the left of the spine which would induces a deformity that would progress during the age of rapid spine growth. Following the development of the kyphosis, this pathway would then evolve with a pelvic obliquity by a later impairment of the Rectus Abdominis, the Obliquus Externus and the muscles of the pelvic girdle. The spine rotation would then appear following further impairment of the Rectus Abdominis, the Obliquus Externus and the Obliquus Internus. Progressive spinal deformities in DMD seem to develop according to a multifactorial origin implicating muscles activity and growth factors. The main limits of the model lie on the restricted available data on which the modeling could be based on. Further experimental studies will have to be undertaken in order to enhance the model's parameters and eventually to improve the modeling.
The clinical study and the biomechanical model investigated the spinal deformities in DMD with and without deflazacort treatment. For the first time, a finite element model of the trunk was developed specifically for DMD disorder. Compared to other biomechanical studies of scoliotic deformities, this model achieves a methodological advancement in biomedical engineering as it is the first model to integrate both the growth modulation and the neuromuscular system.