Le genou humain suscite depuis de nombreuses années l'intérêt, au sens biomécanique, des chercheurs. Cette structure est l'une des articulations biologiques les plus complexes du corps humain, à la fois mobile, flexible, solide et résistante. Elle présente, en effet, le paradoxe de devoir assurer des fonctions antagonistes comme celle de transmettre des charges très importantes et celle d’assurer la mobilité de la jambe par rapport à la cuisse. Elle est aussi susceptible d’être soumise à diverses blessures en raison de son emplacement exposé, de ses grands déplacements relatifs et en raison des charges importantes qu'elle supporte, à savoir le poids du corps humain et les charges associées aux mouvements. Dans certaines activités physiques, la force de compression sur le joint du genou peut atteindre 7 fois le poids du corps humain. Ces charges sont plus importantes durant la pratique de certains sports de performance comme le football ou le hockey, ce qui fait du genou l'articulation la plus exposée aux traumatismes, luxations, entorses et processus dégénératifs du cartilage. Kurtz et al., (2007) ont prévu qu'entre 2005 et 2030, les demandes sur les prothèses totales des genoux aux États-Unis devraient augmenter à 3.48 millions. En outre, chaque année aux États- Unis, plus de 10.8 millions de personnes consultent les chirurgiens orthopédiques pour des problèmes au genou (American Academy of Orthopaedic Surgeons [AAOS]).
Une bonne compréhension de la biomécanique de l'articulation du genou est donc nécessaire pour améliorer à la fois la prévention et le traitement de ces blessures. Pour ce faire, plusieurs modèles analytiques et d’éléments finis (EF) avec différents degrés de précision et de raffinement ont été élaborés. Ils se sont présentés comme une alternative fiable aux méthodes expérimentales qui ont des limitations majeures, principalement liées à leurs coûts élevés, les difficultés liées aux précisions des mesures (contrainte et déplacement) et à la reproduction parfois impossible de certaines situations naturelles. En outre, les modèles EF se sont révélés être en mesure de fournir un éclaircissement précieux sur la biomécanique articulaire, les effets des différents paramètres impliqués et les propriétés mécaniques des tissus biologiques, tout en réduisant le coût et le temps.
Un grand nombre d'études ont tenté d'estimer les forces et les moments dans l'articulation du genou lors de diverses activités. Plusieurs approches ont été utilisées pour relier la cinématique et les forces extérieures du genou aux efforts internes et forces de contact du joint, les plus populaires étant la dynamique inverse combinée avec soit l'optimisation statique, soit une méthode basée sur l’électromyographie (EMG). Toutefois, ces approches ont négligé la contribution passive de l'articulation, ce qui pourrait en général sous-estimer les forces musculaires. Aussi, cette contribution devrait augmenter en présence d'une force de compression. À notre connaissance, il n'existe aucun travail qui s'est intéressé aux prévisions des moments passifs dans l'articulation du genou en présence d'une force de compression. Ainsi, sous le même type de chargement, la rigidité et la laxité du joint du genou constituent-elles des facteurs importants à déterminer, du fait qu’elles sont souvent associées à la performance et au risque des blessures.
Partant de ce fait, et en se basant sur un modèle EF 3D existant (Adouni & Shirazi-Adl, 2009; Bendjaballah, Shirazi-Adl, & Zukor, 1995; Moglo & Shirazi-Adl, 2005), nous avons étudié dans le présent travail l'effet de la force de compression sur la rigidité et les moments passifs de l'articulation du genou. Le modèle représente le plus fidèlement possible l'articulation tibiofémorale avec les deux structures osseuses (tibia et fémur), leurs couches de cartilage articulaire, les deux ménisques et les principaux ligaments (deux croisés et deux latéraux). Une représentation du corps rigide a été considérée pour chacune des structures osseuses, ce qui offre une précision et un temps de calcul meilleur dans une telle analyse non-linéaire. Ce choix est dû à leur rigidité qui est plus grande comparée à celle des tissus mous (Haut Donahue & Hull, 2002). Le fémur a été représenté par un nœud primaire (PR-F) situé en son centre entre les deux épicondyles fémoraux. Les couches du cartilage articulaire ont été supposées isotropes, homogènes et élastiques. Les ménisques ont été modélisés par un matériau composite avec une matrice isotrope linéaire renforcée dans les directions radiales et circonférentielles par des réseaux de fibres de collagène qui ont des propriétés matérielles non linéaires (c.-à-d. rigide en traction et sans résistance en compression). Les éléments uni-axiaux qui constituent les ligaments sont définis avec des pourcentages différents de pré-tension et un comportement non linéaire en tension de matériaux (sans résistance en compression). Un autre modèle plus raffiné (Adouni, Shirazi-Adl, & Shirazi, 2012), avec des couches de cartilage modélisées comme des matériaux composites aux propriétés non linéaires dépendantes de la profondeur du cartilage, a aussi été utilisé dans le but de comparer et de valider les résultats.
La réponse passive de l'articulation du genou a été étudiée dans quatre angles de flexion; de 0° à 45° avec un incrément de 15°, sous l'action d'une force de compression allant jusqu'à 1800N (nulle dans certaines analyses). Le joint s’équilibre initialement sous le seul effet des déformations ou contraintes initiales prescrites dans les ligaments. La configuration ainsi obtenue est choisie comme position de référence. Le fémur est ensuite fléchi autour de son axe médiallatéral à l'angle de flexion souhaité (0°- 45°) et fixé par la suite dans toutes les directions. Cependant, le tibia a été laissé libre sans contraintes. Afin d'éviter les moments d'artefact (artifact moments) la force de compression est appliquée à un point que l'on appelle MBP (‘Mechanical Balance Point’) et que l'on trouve suite à plusieurs itérations visant à ne pas générer des rotations flexion-extension et varus-valgus. Les coordonnées de ce point varient avec l'angle de flexion et la force de compression appliquée. En effet, il se déplace médialement avec la force de compression et postérieurement lorsque le fémur fléchi de 0° à 15°.
Pour chacune des configurations étudiées (genou fléchi et force de compression appliquée au MBP correspondant), les moments passifs de l'articulation tibio-fémorale ont été comptés au nœud primaire du fémur situé entre les centres des deux épicondyles fémoraux, pris comme centre de l'articulation dans les modèles musclo-squelettiques de la marche humaine. Pour tous les angles de flexion, le moment de résistance en flexion augmente avec la force de compression et atteint un maximum de 12.68 Nm à 30° avec 1800 N. Par contre, le moment de résistance en valgus est maximal en pleine extension atteignant 22 Nm à 0° avec 1800 N et varie d'environ 5 Nm à 10 Nm pour les autres angles de flexion.
Ensuite, la rigidité instantanée de l'articulation tibio-fémorale a été étudiée dans les deux plans; sagittal et frontal, en appliquant des perturbations linéaires à la configuration finale déformée (force de compression appliquée au MBP correspondant). Le fémur reste toujours fixe, avec une rotation infinitésimale (0.001°) appliquée dans les deux plans sagittal et frontal, au centre de rotation du tibia qui est défini également par le MBP. Les autres degrés de liberté du tibia ont été fixés. Pour chaque configuration étudiée (force/angle), les valeurs des rigidités instantanées correspondantes ont été déterminées comme étant le rapport des moments requis sur les rotations infinitésimales appliquées. Ces valeurs, dans les deux plans sagittal et frontal, augmentent considérablement avec la force de compression pour tous les angles de flexion. Toutefois, la rigidité instantanée dans le plan frontal est plus grande que celle trouvée dans le plan sagittal. Pour une force de compression de 1800N, la rigidité instantanée dans le plan sagittal varie entre 1.36 et 3.09 Nm/deg, tandis-que celle dans le plan frontal varie entre 16.06 et 19.65 Nm/deg.
Enfin, la réponse en varus-valgus de l'articulation du genou chargée et non chargée, a été étudiée en plein extension, sous des moments en varus-valgus allant jusqu'à 20Nm appliqués au MBP associé à chacune des forces de compression. Le fémur est resté fixe et le tibia a été laissé sans contrainte dans les trois translations, avec la rotation interne-externe fixe. Une réponse nonlinéaire a été ainsi observée. Dans le cas du genou non chargé en compression, les ligaments latéraux sont les restrictions primaires contre les moments appliqués. Cependant, l'apport résistif de ces ligaments diminue considérablement avec la présence de la force de compression. Un autre cas a été analysé avec la rotation interne-externe du tibia libre.
Les résultats obtenus lors de ce travail touchent plusieurs aspects de la biomécanique du genou. Ils permettent, entre autres, de faire une corrélation entre la cinématique du joint et le mécanisme de transfert de charges qui en découlent. Ces résultats sont généralement en accord avec la littérature, suggérant une bonne performance du modèle EF utilisé. La localisation des MBP nous a permis d'appliquer la force de compression dans la position la plus idéale (position d'équilibre mécanique). Cette position demeure aussi appropriée pour nos prédictions concernant les rigidités instantanées. Il a été montré que les moments de résistance passifs et les rigidités instantanées augmentent significativement avec la force de compression. En outre, nos analyses ont mis en évidence la nécessité de prendre en compte des moments de résistances passifs lorsqu'on essaie d'estimer les forces musculaires et les charges dans l’articulation du genou (principalement dans les modèles musclo-squelettiques).
The human knee has attracted for many years the interest of researchers. This structure is one of the most complex articulations of the human body, being at the same time mobile, flexible, rigid and durable. It presents, in fact, the paradox of having to perform apparently opposing functions such as carrying large loads while ensuring the mobility of the lower extremity. It is highly susceptible to injury due to its exposed location, its large relative displacements and loads that it supports. In some physical activities, the compression force on the knee joint can reach 7 times the body weight. These loads are higher during certain sports like football or hockey, which make the knee joint as the articulation most exposed to traumatisms, dislocations, sprains and degenerative processes. Kurtz et al (2007) in their predictions suggested that between 2005 and 2030, the annual demand on total knee prostheses in United States is expected to increase to 3.48 million. In addition, every year in the United States, more than 10.8 million people visit orthopedic surgeons for knee problems (American Academy of Orthopaedic Surgeons [AAOS]).
A good understanding of the biomechanics of the knee joint is therefore necessary to improve the prevention and treatment procedures of these injuries. In response, several analytical and finite element (FE) models with different degrees of precision and refinement have been developed. They are considered as a reliable alternative to experimental methods that face have major limitations, mainly related to their high costs, difficulties related to measurement accuracy (stress and displacement) and reproduction of some physiological situations. FE models have proven useful in providing valuable information on joint biomechanics, the effects of various parameters involved and the mechanical properties of biological tissues.
A large number of studies have attempted to estimate the loads and moments in the knee joint during various activities. Several approaches have been used to relate the knee kinematics and external loads to joint contact loads, the most popular being the inverse dynamics combined with either the static optimization or EMG-driven methods. However, these approaches do not take into account the passive contribution in the knee joint which could over-estimate the computed muscle forces and hence joint internal loads. This passive contribution is also expected to alter as a function of the joint compression force. To our knowledge, there is no work to predict the passive moments in the knee joint in the presence of compressive loads. The tangent stiffness and laxity (moment vs rotation) of the knee joint are also important to determine as they influence joint performance and stability and are often associated with the risk of injury.
In response and based on a 3D FE model (Adouni & Shirazi-Adl, 2009; Bendjaballah et al., 1995; Moglo & Shirazi-Adl, 2005), we investigated in the present work the effect of compressive load on the stiffness and passive resistant moments of the knee joint. This model represents the tibio-femoral articulation with the two bony structures (tibia and femur), their articular cartilage layers, both menisci and major ligaments (two cruciate and two collateral). A rigid body representation was considered for each bony structure, which provides for precision and best computation time in these nonlinear analyses. This choice is justified due to their much greater stiffness compared with joint soft tissues (Haut Donahue & Hull, 2002). The femur was represented by a primary node (PR-F) located between the femoral epicondylar centers. Menisci are modeled as nonhomogeneous composite material with a linear isotropic matrix reinforced by nonlinear radial and circumferential collagen fibers. Ligaments are each modeled by a number of uniaxial elements with different prestrain or pretension values and nonlinear material properties (no compression). The cartilage layers are simulated by a homogeneous isotropic linear material. In addition and for the sake of validation, a more refined model (Adouni et al., 2012) was also employed in some analyses that simulated the articular cartilage as fibril-reinforced composite tissues with depth-dependent nonlinear properties.
Passive response of the knee joint has been studied at four flexion positions; from 0° to 45° with an increment of 15°, under a compressive load of up to 1800 N. At the first step, the undeformed joint reference or resting configuration was initially established by considering the joint response under the prestrains in ligaments. The femur was then flexed about its mediallateral axis to the desired joint flexion angle (0°-45°) and was fixed in all directions thereafter. However, the tibia was left without constraints throughout. To avoid the artifact moments, the preload compression forces were applied onto the tibia at a location iteratively identified not to generate flexion-extension and varus-valgus angulations. This novel MBP location varied with compression preload and the joint flexion angle. In fact, it moves medially with the compressive load and posteriorly when the femur flexed from 0° to 15°.
For each studied configurations (knee flexed at the desired angle and compressive load applied at the corresponding MBP), the passive moments of the tibio-femoral (TF) articulation are calculated on the primary node of the femur that is located between the epicondylar centers and taken as the joint center in the musculoskeletal models of human gait. For all flexion angles, the TF flexion moment increases with the compressive load and reaches the maximum of 12.68 Nm at 30° with 1800 N. In contrast, the TF valgus moment is greatest here at the full extension reaching 22 Nm at 0° with 1800 N and varies from about 5 Nm to 10 Nm in the other flexion angles.
The instantaneous TF rigidity has been studied in both sagittal and frontal planes, by applying linear perturbation at the final deformed configurations (knee flexed and compressive load applied at the corresponding MBP). The femur remains fixed with an infinitesimal rotation (0.001°) applied in both sagittal and frontal planes, on the tibia at its instantaneous MBP, while constraining the remaining degrees-of-freedom. For each studied configuration (load/angle), the corresponding tangent stiffness values were determined as the ratio of the required moments over the applied infinitesimal rotations. These values, in sagittal and frontal planes significantly increase with the compressive load for all flexion angles. However, the instantaneous rigidity in the frontal plane is larger than that in sagittal plane. For a compressive load of 1800 N, the instantaneous stiffness in the sagittal plane is between 1.36 and 3.09 Nm/deg, while that in the frontal plane is between 16.06 and 19.65 Nm/deg.
Finally at the full extension position under various compression preloads applied at their respective MBP, the varus/valgus response of the TF joint is studied under up to 20 Nm varusvalgus moments. The femur remains fixed and the tibia is left free to translate, with the internalexternal rotation of the tibia fixed. A non-linear response is observed. In the unloaded cases, the lateral ligaments are the primary restrictions against the applied moments. However, the resistive contribution of these ligaments decreases significantly in presence of the compressive load. Additional case with the internal-external rotation of the tibia left free is also analyzed.
The results of the present work have implications in various aspects of the knee biomechanics. The predicted results are found in general agreement with reported measurements supporting thus the accuracy of the model. The novel MBP allowed for the application of the compressive load in the most ideal position (mechanical equilibrium position or joint rotation center) with no artifact moments. It also allowed for the evaluation of instantaneous tangent stiffness in frontal and sagittal planes. Our results stresses the need to consider the contribution of the compression-dependent passive moments in resisting external moments when attempting to estimate muscle forces and joint loads in musculoskeletal models of the lower extremity.