La scoliose idiopathique de l’adolescent (SIA) est une déformation tridimensionnelle de la colonne vertébrale et de la cage thoracique. Dans le cas de déformations sévères, une chirurgie d’instrumentation est préconisée. Cette chirurgie consiste généralement à insérer des implants (vis pédiculaires) dans les vertèbres pour réaliser une succession de manœuvres chirurgicales visant à corriger les déformations scoliotiques. Des tiges sont placées dans les vis pédiculaires durant les manoeuvres afin de maintenir la correction. À ce jour, plusieurs manœuvres chirurgicales sont à la disposition des chirurgiens pour corriger la déformation scoliotique en 3D durant l’instrumentation. Les manœuvres les plus récemment développées se sont concentrées sur l’amélioration des déformations scoliotiques dans le plan transverse (rotation axiale vertébrale). Notamment, les manœuvres de Dérotation Vertébrale (VD) visent à corriger la rotation axiale des vertèbres en appliquant une force sur un outil de dérotation, extenseur de la vis pédiculaire rigidement fixée à la tête de vis. On distingue deux grandes catégories de dérotations faisant intervenir différents mécanismes de correction. La « dérotation Segmentaire » est une manipulation locale qui corrige la rotation intervertébrale séquentiellement à chaque niveau instrumenté (correction incrémentale), tandis que la « dérotation En Bloc » est une manipulation régionale des niveaux apicaux, où la rotation axiale est maximale, pour corriger la déformation dans le plan transverse en une unique manipulation.
Des études cliniques et biomécaniques ont montré que les manoeuvres de dérotation amélioraient significativement la correction des déformations dans les plans transverse et coronal. La restauration du profil sagittal est également un des objectifs principaux visé par la chirurgie d’instrumentation, et des craintes quant à l’impact négatif des manœuvres de dérotation sur la cyphose thoracique ont été formulées par les praticiens. Les différences entre les dérotations Segmentaire et En Bloc en termes de résultats de correction 3D restent peu investiguées dans la littérature. Les manœuvres de dérotation offrent la possibilité d’appliquer des efforts importants sur les vertèbres pour parvenir à la correction du plan transverse, mais des efforts excessifs peuvent entraîner le descellement des implants ou le bris du pédicule. Des études expérimentales sur des vertèbres cadavériques ont montré que le choix de la stratégie de dérotation avait un impact sur la force menant à la rupture de l’interface os-implant.
Les recommandations formulées par les praticiens sur le choix de la stratégie de dérotation et les ajustements dans la technique d’exécution afin d’obtenir une correction optimale et sécuritaire de la scoliose reposent aujourd’hui sur l’expérience des chirurgiens et des principes empiriques. L’avantage biomécanique d’une stratégie de dérotation par rapport à une autre n’a pas été établi à ce jour.
L’objectif général de ce projet doctoral était d’évaluer la biomécanique des manœuvres de dérotation vertébrale en vue d’améliorer les techniques de correction 3D et de diminuer les efforts supportés par l’instrumentation lors du traitement chirurgical de la scoliose. Les travaux effectués dans cette thèse visaient à répondre à deux questions de recherche :
La méthodologie hybride développée afin de répondre aux questions de recherche s’est appuyée sur l’analyse de résultats chirurgicaux à partir de la reconstruction 3D géométrique du rachis de patients, ainsi que sur l’analyse de simulations numériques de manœuvres de dérotation vertébrale à l’aide de modèles biomécaniques personnalisés. Le premier volet de cette thèse a porté sur la description et la comparaison de la correction 3D obtenue par différentes techniques chirurgicales d’instrumentation sur des cas cliniques, avec une attention particulière portée au plan transverse.
Pour ce faire, dans un premier temps, sept méthodes de mesures de la rotation axiale vertébrale ont été évaluées en termes d’exactitude et de précision, pour des vertèbres non instrumentées (état préopératoire) et instrumentées de vis pédiculaires et tiges (état postopératoire). Deux vertèbres synthétiques, avec et sans instrumentation, ont été radiographiées dans 53 positions 3D fixées à l’aide d’un montage expérimental. La rotation axiale a été mesurée avec chacune des sept méthodes, par deux observateurs, et à deux reprises espacées d’une semaine. L’erreur de mesure moyenne des différentes techniques était comprise entre 2° (méthode de mesure basée sur la reconstruction 3D surfacique du logiciel SterEOS) et 9° (méthode de Nash-Moe). La présence de l’instrumentation sur la vertèbre n’altérait pas négativement l’erreur de mesure, indiquant que les méthodes sont autant adaptées pour mesurer la déformation préopératoire et le résultat postopératoire.
Dans un second temps, une étude clinique rétrospective a été menée sur 77 cas de scoliose avec une courbure thoracique majeure droite, opérés entre les années 2010 et 2015 par différentes techniques de correction, incluant soit une dérotation Segmentaire (31 cas), soit une dérotation En Bloc (25 cas), soit une technique de translation de la tige (21 cas). La reconstruction 3D à l’aide du logiciel SterEOS du rachis a été réalisée à l’état pré- et post-opératoire, et sept indices de correction 3D mesurés. Cette étude a révélé que les trois techniques chirurgicales permettaient une correction significative de la déformation dans le plan frontal et le plan transverse. La rotation axiale de la vertèbre apicale, où la déformation dans le plan transverse était maximale, était corrigée de manière similaire par les deux techniques de dérotation. En revanche, la manipulation individuelle de chaque niveau instrumenté par la technique Segmentaire a permis d’atteindre une correction plus locale des rotations intervertébrales, améliorant ainsi la détorsion du rachis instrumenté. Aucune corrélation entre la correction de la rotation axiale et le changement de cyphose n’a été mise en évidence, montrant que l’amélioration de la déformation dans le plan transverse par les manœuvres de dérotation n’implique pas une diminution systématique de la cyphose thoracique lors de la chirurgie. Une tendance vers la normalisation de la cyphose a été notée avec la pratique des manœuvres de dérotation, avec une augmentation de la cyphose des cas hypo-cyphotiques.
Le deuxième volet de cette thèse visait à évaluer l’effet biomécanique du choix de la stratégie de dérotation sur la correction 3D et les chargements induits sur les implants. Un modèle numérique personnalisé de cinq cas de scoliose a été exploité pour simuler différentes approches de correction incluant des manœuvres de dérotation. Pour chaque patient, la géométrie préopératoire du rachis a été reconstruite en 3D, puis un modèle biomécanique multicorps créé. Les vertèbres étaient considérées comme des corps rigides, reliées entre elles par des ressorts à six dimensions dont les propriétés étaient issues de la littérature (tests sur des vertèbres cadavériques). La rigidité du rachis était ensuite ajustée au patient en se basant sur la réductibilité des courbures sur les radiographies en inflexion latérale. L’instrumentation (vis pédiculaires et tiges d’instrumentation) et les outils chirurgicaux de dérotation ont été modélisés. Les manœuvres de dérotation En Bloc et Segmentaire ont été simulées par l’application de forces sur les outils de dérotation, telles qu’observées en salle d’opération.
Pour chaque cas, différentes stratégies chirurgicales ont été simulée : 1) sans dérotation; 2) sans dérotation avec cintrage différentiel des tiges concave et convexe ; 3) avec une dérotation En Bloc ; 4) avec une dérotation Segmentaire. Des ajustements dans l’exécution de la technique de dérotation, identifiés auprès de chirurgiens experts, ont également été simulés: a) avec ou sans pont de jonction entre les outils de dérotation placés des côtés concave et convexe; b) avec la tige concave ou avec les deux tiges insérées dans les implants ; c) avec ou sans contre-torsion aux limites du montage ; d) avec différents nombres de niveaux vertébraux dérotés.
La simulation des différents scénarios a mis en évidence l’intérêt d’ajouter une manœuvre de dérotation vertébrale à la stratégie chirurgicale pour obtenir une correction 3D. Les manœuvres de dérotation En Bloc et Segmentaire permettaient de corriger la déformation dans le plan transverse, ce que ne permettait pas la chirurgie sans dérotation. L’effet limité du cintrage différentiel entre les tiges pour la correction du plan transverse a également été relevé. La technique de dérotation Segmentaire, permettait une meilleure correction de la rotation intervertébrale, mais induisait des risques de balayage des implants plus élevés que la technique de dérotation En Bloc bilatérale. Les techniques de dérotation mettaient en jeu des efforts à l’interface implant-vertèbre d’amplitude et d’orientation différentes selon les ajustements dans leur exécution. Notamment, l’utilisation d’un pont pour lier les dérotateurs placés des côtés concave et convexe diminuait les moments médio-latéraux (balayage de l’implant), mais en contrepartie, augmentait les efforts d’arrachement de l’implant. La pratique de la dérotation après l’insertion des deux tiges augmentait les risques d’arrachement des implants. Ainsi, les choix du chirurgien dans l’exécution des techniques de dérotation doivent donc être planifiés avec attention pour éviter les risques potentiels engendrés par le descellement de l’implant (compression de la moelle épinière, de l’aorte, arrachement de la vis, etc.).
Les travaux présentés dans cette thèse confirment que le choix de la stratégie de dérotation impacte le résultat de correction 3D et les chargements induits sur les implants lors de la chirurgie d’instrumentation. La poursuite de ce projet pour inclure les résultats cliniques (correction de la gibbosité, questionnaire de satisfaction du patient, etc.) permettrait d’approfondir l’évaluation et la comparaison des différentes stratégies de dérotation.
Ce projet doctoral a mis en évidence l’importance de la stratégie de dérotation vertébrale lors de la chirurgie d’instrumentation postérieure du rachis, et des recommandations cliniques pour maximiser la correction 3D et prévenir les risques de descellement de l’instrumentation ont ainsi pu être formulées. La poursuite de ces travaux de recherche dans le développement du simulateur de chirurgie permettrait de rationaliser la pratique chirurgicale impliquant des manoeuvres de dérotation vertébrale, et assister les chirurgiens dans leurs décisions préopératoires pour un traitement optimal de chaque patient atteint de scoliose.
Adolescent Idiopathic Scoliosis (AIS) is a tridimensional deformity of the spine and the rib cage. For severe deformities, a spinal instrumentation surgery is recommended. This surgery generally consists of scoliosis correction though implants (pedicle screws) insertion into vertebrae, to perform a sequence of surgical maneuvers and maintaining the correction through rods fixed into the implants. To date, surgeons are able to address the scoliotic 3D deformities through several correction maneuvers during the instrumentation. The most recently developed maneuvers are focusing on the improvement of the transverse plane deformity (vertebral axial rotation). Among these maneuvers, the Vertebral Derotation (VD) maneuvers aim to correct the vertebral axial rotation by applying forces directly on a derotation tool, rigidly fixed on pedicle screws. Derotation maneuvers can be classified in two main categories involving different correction mechanisms. The « Segmental derotation » is a local manipulation that sequentially addresses the intervertebral rotation at each instrumented vertebral level (incremental correction). The « En Bloc derotation » is a unique and global manipulation of the apical levels (at the maximal axial rotation), leading to the correction of the transverse plane deformity.
Several clinical and biomechanical analyses have shown that the derotation maneuvers significantly improved the transverse and coronal plane deformities. Meanwhile, sagittal plane restoration is also one of the main goals of the surgery, but several investigators have suggested that the vertebral derotation may reduce the thoracic kyphosis. Differences between Segmental and En Bloc derotation in terms of 3D correction remain poorly investigated in the literature. Derotation maneuvers allow to apply powerful forces on the vertebrae to correct the transverse plane deformity. However excessive forces may lead to screw loosening or pedicle breach. Experimental studies on cadaveric vertebrae show that the derotation strategy can impact differently the force leading to the pedicle screw’s failure.
In order to obtain the optimal and safer scoliosis correction regarding to the derotation strategy, the surgeons’ recommendations are based on their experiences and empirical principles. To date, none of these derotation strategies has been shown to have biomechanical superiority.
The general objective of this PhD project was to assess the biomechanics of Vertebral Derotation maneuvers in order to improve the 3D correction techniques while reducing the loads supported by the instrumentation during the scoliosis surgery.
The studies conducted in this project sought to answer two research questions:
The hybrid methodology developed to address these research questions relied on the analysis of surgical results based on 3D reconstruction of patients’ spine, and on numerical simulations of the derotation maneuvers based on patient-specific biomechanical models.
The first part of this manuscript compared the 3D correction obtained with different surgical techniques in clinical cases instrumentation. The focus was specifically on the transverse plane correction.
For this comparison, seven vertebral axial rotation measurement methods were first assessed in terms of accuracy and precision, for non-instrumented vertebrae (preoperative state) and instrumented vertebrae with pedicle screws and rods (postoperative state). Two synthetic vertebrae, with and without instrumentation, were radiographed in 53 3D positions fixed thanks to an experimental set-up. The axial rotation was measured with each of the seven methods, by two observers. A second set of measurements has been performed one week later. The average measurement error was between 2° (from 3D surface-based reconstruction software SterEOS) and 9° (from Nash-Moe method). The presence of a spinal instrumentation did not affect the measurement error, showing that the methods are suited for measuring the postoperative resulting axial rotation with the same accuracy as the preoperative deformity.
Then, a retrospective clinical study has been conducted on 77 right main thoracic curve scoliotic cases, operated between 2010 and 2015 by different correction techniques, including a Segmental derotation (31 cases) or an En Bloc derotation (25 cases) or a rod translation technique (21 cases). The 3D reconstruction of the preoperative and postoperative spine was performed with the SterEOS software, and seven 3D correction indices were computed. This study revealed that these three surgical techniques enabled a significant correction of the deformity in the frontal and transverse planes. The axial rotation of the apical vertebra, where the transverse plane deformity was maximal, was similarly corrected with both derotation techniques. However, the individual manipulation of each instrumented vertebra allowed to obtain a better local correction of the intervertebral rotations, improving the detorsion of the instrumented spine. No correlation was found between the axial rotation correction and the kyphosis change, proving that improvement of the transverse plane by derotation maneuvers did not induce a decrease in the thoracic kyphosis during the instrumentation surgery. A tendency toward normalization of the kyphosis resulted from the practice of derotation maneuvers, with an increase in the kyphosis of the hypokyphotic cases.
The second part of this thesis aimed to evaluate the biomechanical effect of the derotation strategy on the 3D correction and the resulting loadings on the implants. Five AIS patientspecific numerical models were exploited to simulate different surgical correction approaches including derotation maneuvers. For each patient, the geometry of the preoperative spine was reconstructed in 3D, and a biomechanical multi-body model was created. The vertebrae were considered as rigid bodies connected by six dimension springs which properties were extracted from the literature (experimental testing on cadaveric vertebrae). The spinal stiffness was then adjusted to match the patient flexibility, using the curves reducibility on the lateral bending radiographs. The instrumentation (pedicle screws and rods) and the surgical tools for the derotation maneuver were modeled. En Bloc derotation and Segmental derotation were simulated by applying forces on the surgical tools, as it was observed in the operating room.
For each case, different surgical strategies were modeled: 1) without derotation; 2) without derotation and with differential contouring between concave and convex rods; 3) with an En Bloc derotation; 4) with a Segmental derotation. Execution of derotation techniques have also been simulated with these following additional variations: a) with or without a bridge to join concave and convex derotation tools; b) with concave rod only or with both concave and convex rods; c) with or without counter-torque at the ends of the instrumentation construct; d) with different numbers of derotated levels.
These simulations have shown the importance of the vertebral derotation maneuver in the surgical strategy for 3D correction. En Bloc and Segmental derotation enabled the transverse plane deformity correction, whereas the strategies without derotation did not reach a significant correction. Differential rod contouring had a limited effect onto the transverse plane. The Segmental derotation techniques allowed a better intervertebral rotation correction, but induced higher implant plowing risks compared to the bilateral En Bloc derotation. The derotation techniques generated different loads at the bone-implant interface in terms of amplitude and orientation depending on the adjustments in the execution of the technique. Particularly, bridge linking the concave and convex derotators lowered the medio-lateral torque (screw plowing risk), but increased the implant axial loads (pullout risk). The practice of the derotation after both rods insertion induced a higher risk of implant pullout. Surgeons’ decision concerning the execution of the derotation technique must be carefully planned to avoid the potential risks related to implant failure during the maneuver (compression of the spinal cord or the aorta, screw pullout, etc.).
The results of this work confirm that the derotation strategy impacts the 3D correction results and the loadings generated on the implants during scoliosis instrumentation surgery. Further work including clinical results (correction of the rib hump, patient satisfaction questionnaire, etc.) would enable a deeper analysis and comparison of the different derotation strategies.
This PhD project highlighted the importance of the vertebral derotation strategy for posterior spinal instrumentation, and clinical recommendations have been developed in order to maximize the 3D correction and prevent implant failure risks. Further development of the surgical simulator would help rationalize surgical practice of derotation maneuvers, and guide surgeons for their preoperative decision-making to achieve the optimal care of each scoliotic patient.