La croissance longitudinale des os longs et des vertèbres s'effectue au moyen des plaques de croissance cartilagineuses. La plaque de croissance se compose de trois zones, soient les zones de réserve, proliférative et hypertrophique, qui sont hétérogènes au niveau de leurs composition, structure, morphologie et comportement mécanique. La plaque de croissance est sensible aux chargements mécaniques. Ce phénomène de modulation mécanique de la croissance a des implications importantes dans les déformations musculo-squelettiques progressives chez l'enfant et l'adolescent, telles la scoliose idiopathique adolescente, le tibia vara et le genu varum. Le comportement mécanique de la plaque de croissance n'est cependant pas complètement déterminé, dû entre autres à la nature hétérogène de ses trois zones. Par ailleurs, peu de modèles numériques permettent actuellement d'étudier les mécanismes de déformation et l'état de contraintes au travers de la plaque de croissance. Le présent projet visait à développer une approche numérique pour l'étude du comportement biomécanique de la plaque de croissance dans un rachis lombaire personnalisé à la géométrie d'un patient, puis à valider cette approche de modélisation.
Le premier objectif de ce projet était de développer un modèle par éléments finis volumiques du rachis pédiatrique personnalisé au niveau géométrique et intégrant une représentation détaillée des vertèbres lombaires, des tissus conjonctifs et en particulier de la plaque de croissance. La géométrie et les propriétés mécaniques des vertèbres ont été générées à partir d'images tomodensitométriques de patients et de relations linéaires entre la densité radiographique et les propriétés mécaniques des tissus osseux. Une fois les vertèbres maillées, le krigeage dual a permis la personnalisation géométrique du maillage de ces vertèbres aux caractéristiques spécifiques de quatre rachis lombaires de patients, à partir des informations disponibles depuis leurs radiographies bi-planaires. Les disques intervertébraux, les ligaments et les plaques de croissance, constituées des zones de réserve, proliférative et hypertrophique, ont été générés à partir du positionnement relatif des structures osseuses vertébrales. Ces tissus conjonctifs ont été maillés avec des éléments solides hexaédriques, alors que des éléments câbles actifs seulement en tension ont été utilisés pour modéliser les ligaments. Des propriétés mécaniques linéaires élastiques ont été attribuées aux tissus conjonctifs. Des éléments de contact surfaciques ont été appliqués aux facettes articulaires.
Le second objectif du projet visait à valider le modèle biomécanique du rachis aux niveaux géométrique et mécanique. La validation géométrique a été effectuée à l'aide de spécimens vertébraux surfaciques virtuels de précision géométrique de 1.1 ± 0.8 mm (Delorme et coll., 2003). Un modèle par éléments finis de ces vertèbres a été généré en personnalisant les vertèbres maillées vers ces géométries. Par la suite, 15 indices géométriques ont été évalués pour les spécimens et les vertèbres maillées et ont permis une comparaison statistique. Les tests de Student ont indiqué qu'aucune différence significative n'existait entre les spécimens et les vertèbres maillées (0.323 ≤ P ≤ 0.336). Les tests de Wilcoxon ont démontré que la méthode de personnalisation ne surestimait pas et ne sous-estimait pas les indices géométriques des vertèbres. De plus, les erreurs calculées sur les indices géométriques ne dépassaient pas 1% pour 83 % des indices. Les autres erreurs calculées ne dépassaient pas 13 % à l'exception de deux mesures dont les écarts représentaient moins de 9 mm. La validation du comportement mécanique a été effectuée en comparant la réponse des quatre unités fonctionnelles lombaires avec les expérimentations sur des rachis cadavériques adultes menées par Panjabi et coll. (1994). La comparaison des courbes de flexibilité a indiqué que le modèle est moins flexible en flexion, mais présente une pente similaire aux expérimentations. Les simulations en torsion ont démontré un comportement beaucoup plus flexible. En torsion et en inflexion latérale, les courbes de flexibilité ont été plus linéaires que celles de Panjabi et coll. (1994). Une étude comparative de la distribution des propriétés mécaniques a également fait l'objet d'une analyse de la variation inter-individus dans les vertèbres, puisque les propriétés mécaniques de l'os ne faisaient pas l'objet d'une personnalisation. Dans l'ensemble, les propriétés mécaniques disposées dans le modèle par éléments finis des vertèbres différaient des sujets de comparaison (P ≤ 0.05). Ce résultat est appuyé par les observations sur les variations inter-individus des propriétés mécaniques dans l'os rapportées par plusieurs auteurs (Cody et coll., 1996; Périé et coll., 2001; Koperdahl et coll., 2002; Templeton et coll., 2004). Cependant, l'os étant relativement rigide, ce sont principalement les propriétés des tissus conjonctifs qui ont un impact sur le comportement des unités fonctionnelles et sur la distribution de contraintes au travers de la plaque de croissance.
Le troisième objectif du projet consistait à déterminer les caractéristiques géométriques et mécaniques de la plaque de croissance ayant une influence significative sur son comportement mécanique. Les facteurs évalués, par l'entremise d'un plan d'expérimentation permettant de réduire le nombre de simulations, ont inclus l'épaisseur totale de la plaque de croissance, les fractions des zones hypertrophique et proliférative, les modules élastiques des zones hypertrophique, proliférative et de réserve ainsi que le coefficient de Poisson. Les modalités de ces sept facteurs ont été sélectionnées à partir des plages de données disponibles dans la littérature. Un total de 16 simulations a été nécessaire pour chacun des cas de chargement suivants : flexion, extension, torsion, inflexion latérale et compression uniaxiale. Sept paramètres mécaniques, évalués à partir des simulations, ont permis de déterminer les effets significatifs (P < 0.05) sur le comportement mécanique de la plaque de croissance : la contrainte de Von Mises, les contraintes de cisaillement dans les trois plans principaux et les déformations dans les trois directions principales. Ces paramètres ont été analysés pour les zones hypertrophique, proliférative et de réserve, la plaque de croissance et le disque intervertébral et ce, pour les zones d'intérêt crâniennes et caudales de l'unité fonctionnelle L1-L2. Les analyses ont indiqué que le coefficient de Poisson et l'épaisseur totale de la plaque de croissance sont les principaux facteurs significatifs en flexion. Pour des chargements en extension, en inflexion latérale et en compression, ce sont le coefficient de Poisson et le module élastique de la zone hypertrophique qui ont été identifiés régulièrement significatifs. La plaque de croissance soumise à une torsion a été principalement affectée par l'épaisseur de la plaque de croissance ainsi que par les modules élastiques des zones hypertrophique et proliférative. Les trois zones de la plaque de croissance ont vu leur propre module élastique retenu comme facteur significatif. Les paramètres de déformation ont indiqué, dans les différentes zones de la plaque de croissance, une interaction significative entre leur propre module élastique et le coefficient de Poisson. L'épaisseur totale de la plaque de croissance a été identifiée comme significative sur le comportement mécanique du disque intervertébral et de la plaque de croissance dans son ensemble. D'ailleurs, le coefficient de Poisson s'est avéré être un facteur régulièrement significatif pour l'intégralité de la plaque de croissance. Les fractions des zones hypertrophique et proliférative ont été rarement significatifs alors que le coefficient de Poisson était le facteur d'influence le plus souvent significatif dans l'ensemble des zones d'intérêt et pour tous les cas de chargement. Cette observation est causée par la large gamme de valeurs couvertes par les modalités du coefficient de Poisson.
Cependant, la validation du modèle biomécanique possède certaines limites. D'abord, les propriétés mécaniques des tissus sont linéaires et isotropiques dans le modèle contrairement aux différentes structures biologiques. De plus, la validation mécanique est basée sur les résultats d'expérimentations de rachis cadavériques matures, par manque de données expérimentales sur le comportement du rachis pédiatrique, alors que leur comportement mécanique est distinct (Kumaresan et coll., 2000). Puis, aucune des simulations numériques sur la plaque de croissance n'a fait l'objet de comparaison avec des observations sur des échantillons de plaque de croissance expérimentaux. D'autre part, les corrections nécessaires apportées aux facettes articulaires, dont la géométrie influence la mobilité du rachis, pourraient avoir altérée la réponse mécanique du modèle.
Le travail effectué dans le cadre de ce projet de maîtrise a, néanmoins, démontré la pertinence d'un modèle biomécanique pour investiguer les mécanismes de déformation et l'état de contraintes internes de la plaque de croissance. L'approche de modélisation est un outil innovateur permettant de personnaliser un modèle par éléments finis détaillé du rachis et constitue une alternative aux expérimentations sur des tissus du rachis lombaire pédiatrique. Dans l'état actuel, le modèle peut servir à l'analyse du comportement mécanique des tissus osseux, conjonctifs et de la plaque de croissance sous un chargement quasi-statique. Afin d'améliorer la qualité des simulations, les travaux futures devraient étudier les non linéarités des propriétés mécaniques de la plaque de croissance ainsi que perfectionner la modélisation des facettes articulaires. À long terme, cette modélisation pourrait mener à l'amélioration des traitements orthopédiques actuels et au développement de nouvelles approches exploitant le potentiel de la modulation de croissance.
The longitudinal growth of long bones and vertebrae occurs in the cartilaginous growth plates. Growth plates are composed of three zones: the reserve, proliferative and hypertrophic zones. Each zone has its own compositional, structural, morphological and mechanical characteristics. Growth plates are sensitive to their mechanical environment, referred to as the mechanical modulation of growth. This phenomenon has key implications in infant and juvenile pathological progressive musculoskeletal deformities, such as idiopathic scoliosis, tibia vara and genus varus. The mechanical behavior of the growth plate is not completely characterized, due to the important heterogeneity among its three zones. Furthermore, very few modeling allow the possibility to study deformation mechanisms and stress states through the growth plate. The purpose of the present project was then to develop a numerical model to study the mechanical behavior of the growth plate in a geometrically personalized pediatric lumbar spine and to validate the developed modeling approach.
The first objective of the project was to develop a detailed finite element model of the pediatric spine personalized to the patient's geometry, including detailed modeling of the lumbar vertebrae, connective tissues and growth plates. The geometry and mechanical properties of the vertebrae were generated from serial CT-Scan of patients and the linear relationship between radio-density and mechanical properties of bone tissues. Following meshing of the vertebrae, the dual kriging was used to personalize the geometry of the finite element models of the vertebrae to the specification of four patients' lumbar spine using their bi-planar radiographs. Intervertebral discs, ligaments and growth plates, composed of the reserve, proliferative and hypertrophic zones, were generated based on vertebral endplate profiles and the relative positions between adjacent vertebrae. Soft tissues were meshed with structured solid elements, whereas tension only cable elements were used to model the ligaments. Linear elastic mechanical properties were assigned to soft tissues. Surface-to-surface contact elements were used to model the articular facets.
The second objective was to geometrically and mechanically validate the biomechanical model of the spine. The geometrical validation was performed using a set of virtual vertebral specimens with geometrical accuracy of 1.1 ± 0.8 mm (Delorme et al., 2003). A finite element model of those vertebrae was generated by personalizing the meshed vertebrae toward these specimen geometries. Statistical comparisons of 15 morphometrical parameters were completed between specimen and meshed vertebrae. The Student's t test pointed out that there was no significant difference between each vertebral FE model and its corresponding reference specimen (p > 0.323). The Wilcoxon rank test was also non significant between comparable geometric parameters, indicating that the personalized model does not over- or underestimate the measured geometrical parameters. Moreover, calculated errors on geometrical parameters were under 1% in 83% of the indicators. The other errors calculated were not exceeding 13 %, except for two measures that represented less than 9 mm. The mechanical validation was performed by comparing the mechanical behavior of the four lumbar functional units. with data obtained in experiments on cadaveric adult lumbar spines by Panjabi et al. (1994). Comparison of the flexibility curves indicated that the model is less flexible in flexion, but with a slope similar to the experimentations. Simulations in torsion showed a more flexible trend. In extension and in lateral bending, the flexibility curve was more linear as compared to results of Panjabi et al. (1994). A comparative study on the distribution of the bone mechanical properties was also completed to investigate inter- individual variation into the vertebrae, since there was no personalization of the material properties of the bone structures. Overall, the material properties distribution into the finite element model of the vertebrae was different from the comparison specimens (p ≤ 0.05). This result is supported by the inter-individual variation of the material properties into the bone observed in many studies (Cody et al., 1996; Périé et al., 2001; Kopperdahl et al., 2002; Templeton et al., 2004). However, considering that bone is relatively rigid, it is the mechanical properties of the connective tissues that mostly influence the behavior of the functional unit and the stress distribution through the growth plate.
The third objective of the project was to determine the geometrical and mechanical characteristics of the growth plate that significantly affect its mechanical behavior. An experimental design, which allowed reducing the number of simulations, was used to evaluate the following factors: the total thickness of the growth plate, the fraction of the hypertrophic and proliferative zones, the elastic modulus of the hypertrophic, proliferative and reserve zones, and the Poisson's ratio. The modalities of those seven factors were chosen from ranges of available data from the literature. A total of 16 simulations were performed for each of the following loading cases: flexion, extension, axial torsion, lateral bending and compression. Seven mechanical parameters were evaluated in each simulation to determine the significant influences (p < 0.005) on the mechanical behavior of the growth plate: the Von Mises stress, the shear stresses in the three principal planes and the strain in the three principal directions. These parameters were analyzed in the hypertrophic, proliferative and reserve zones, as well as in the growth plate and intervertebral disc. These zones of interest of the functional unit L1-L2 included cranial as well as caudal regions. This sensitivity study showed that the Poisson ratio and the total thickness of the growth plate were the principal significant factors in flexion. For extension, lateral bending and compression loading cases, the Poisson ratio and the elastic modulus of the hypertrophic zone were often found significant. Torsion on the growth plate was mainly affected by its own thickness and by the elastic modulus of the hypertrophic and the proliferative zones. The three zones of the growth plate had their own elastic modulus significantly influencing the mechanical parameters. The strain parameters indicated, in the different zones of the growth plate, a significant interaction between their own elastic modulus and the Poisson ratio. The total thickness of the growth plate was significant for the mechanical behavior of the intervertebral disc and the whole growth plate. The Poisson ratio was found to be regularly significant in the whole growth plate as well. The fractions of the hypertrophic and proliferative zones were rarely significant, whereas the Poisson ratio was the more significant factor influencing all the zones of interest for the different loading cases. This observation was caused by the large range of values covered by the modalities of the Poisson ratio.
However, validation of the developed model had some limitations. First, the material properties of the tissues were modeled as linear and isotropic, which differs from the real mechanical behavior of these biological structures. Furthermore, the mechanical validation is based on experimental data obtained from mature cadaveric spines, since no data on pediatric spine were available, although adult and pediatric spine mechanical behaviors are known to be distinct (Kumaresan et al., 2000). No comparison could be made between growth plate simulations and experimental tests on specimens. Another limit concerns the corrections implemented on the articular facets, which could have influenced the mobility of the spine and the corresponding mechanical response of the model.
The work carried out within the framework of this project demonstrated the relevance of the biomechanical model to investigate deformation mechanisms and stress states throughout the growth plate. The developed modeling approach is an innovating tool allowing the generation of a personalized detailed finite element model of the pediatric spine, and offers an alternative to experiments involving pediatric tissues of the lumbar spine. In its actual form, the model can be used to study the mechanical behavior of bones, connectives tissues and growth plates under quasi-static loading. Future studies should investigate the non-linearity of the material properties of the growth plate and improve the modeling articular facets. In the long term, this work could lead to the improvement of actual orthopedic treatments and to the development of new approaches using the mechanical growth modulation.