La scoliose idiopathique adolescente est une déformation tridimensionnelle complexe de la colonne vertébrale et de la cage thoracique qui entraine des déformations visibles à la surface du tronc. On remarque généralement une asymétrie des épaules, des omoplates, de la taille et du bassin ainsi qu’une bosse dans le dos. Ces déformations esthétiques constituent, d’une part, les premiers signes d’une scoliose, et d’autre part, la principale préoccupation des jeunes patients qui voient leur corps se développer différemment des jeunes de leur âge. Les outils cliniques utilisés pour quantifier les déformations du tronc, comme le scoliomètre ou le fil à plomb, sont peu fiables. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’évaluation de la scoliose repose principalement sur des radiographies de face et de profil du tronc complet. Celles-ci permettent d’apprécier le type de courbure rachidienne et de quantifier son degré de sévérité, en fonction de quoi une stratégie de traitement sera décidée. Cependant, une exposition répétée des patients aux rayons X peut entrainer des effets indésirables sur leur santé. De plus, ces paramètres radiographiques ne permettent pas de documenter les déformations esthétiques. Cette différence notable entre ce que le patient perçoit, et ce que le clinicien est capable d’évaluer, peut mener à l’insatisfaction des patients suite au traitement.
Comparativement aux radiographies, la surface du tronc reconstruite par les systèmes de numériseurs optiques 3D représente mieux les déformations que les patients observent et dont ils se soucient principalement, comme la gibbosité. De plus, l’absence de rayonnement ionisant est un avantage majeur de ces systèmes optiques, qui favorise une évaluation aussi fréquente que souhaité. Toutefois, l’absence de consensus sur un ensemble de mesures des déformations de la surface du tronc fait en sorte qu’elles restent encore considérées comme secondaires dans l’évaluation clinique; pourtant elles sont au cœur des préoccupations des patients.
De cette double problématique, découle la question de recherche globale de cette thèse : comment compléter, voire remplacer, les évaluations clinique et radiographique actuelles de la scoliose par de l’information quantitative obtenue de manière non irradiante et qui permet de prendre davantage en considération les préoccupations des patients par rapport à leurs déformations esthétiques du tronc ?
Parmi les premiers signes de scoliose, la gibbosité est une déformation esthétique qui ne peut être évaluée sur des radiographies, ni sur une reconstruction 3D de la colonne vertébrale. Cette déformation est principalement reliée à la déformation de la cage thoracique. Il est donc intuitif de penser qu’une forte corrélation existe entre les rotations axiales du dos et des côtes, ce que la littérature n’a pas réussi à démontrer. Cela serait en partie expliqué par la précision limitée de la technique de reconstruction 3D de la cage thoracique utilisée. C’est pourquoi, dans ce travail, une nouvelle méthode de reconstruction 3D des côtes de patients scoliotiques est proposée. Elle nécessite une paire de radiographies standards, postéro antérieure et latérale, qui sont généralement acquises de routine pour l’évaluation radiographique. La méthode proposée est ensuite évaluée sur 13 patients scoliotiques et comparée à la méthode de reconstruction existante. Les résultats montrent qu’avec la nouvelle méthode de reconstruction, la rotation axiale des côtes est fortement corrélée à la rotation de la surface du dos, ce qui permet de conclure que l’évaluation de la rotation du dos permet de quantifier la gibbosité sans recourir à une reconstruction 3D des côtes et donc à des radiographies.
Outre la gibbosité, le tronc d’un patient scoliotique présente d’autres déformations. Pour compléter l’évaluation de la scoliose en clinique en prenant davantage en considération les préoccupations des patients, il est nécessaire de considérer l’ensemble des déformations esthétiques du tronc. Un nouvel ensemble de descripteurs des déformations scoliotiques du tronc est donc introduit. De par sa représentation fonctionnelle, il permet une description locale des déformations à tous les niveaux du tronc et non seulement au niveau de l’apex de la courbure, ce qui en fait son originalité par rapport aux travaux de la littérature. L’index proposé regroupe des mesures complémentaires réalisées dans les trois plans de l’espace : la rotation axiale de la surface du dos, la déviation du tronc dans le plan frontal et la déviation du tronc dans le plan sagittal. La fiabilité de cet index a été prouvée sur une cohorte de 32 patients scoliotiques pour chacun desquels la surface du tronc est acquise deux fois de suite avec repositionnement du patient. L’étude de fiabilité a permis également de définir, pour chaque niveau du tronc, un intervalle minimal au-delà duquel une différence entre deux acquisitions du tronc est réelle. Ceci permet notamment de réaliser un suivi, sans radiographies, des déformations du tronc et d’évaluer, sur le plan esthétique, le résultat d’un traitement.
Le nouvel index des déformations scoliotiques du tronc a ensuite permis de prouver l’existence de regroupements naturels de troncs scoliotiques dans une cohorte de 236 sujets sains et scoliotiques. Les regroupements obtenus constituent une classification originale des déformations scoliotiques du tronc, variant en termes de sévérité et de type de déformation, et obtenus de manière non supervisée, contrairement aux classifications de troncs scoliotiques existantes. Une classification des différents types de troncs scoliotiques permet de définir un vocabulaire commun pour les cliniciens et d’identifier, pour chaque classe, un patron de progression distinct, avec éventuellement, une prise en charge adaptée. Les 11 regroupements obtenus concordent dans 68 % des cas avec le type de courbure rachidienne tel qu’évalué sur une radiographie frontale. De plus, le nombre de regroupements résultants étant supérieur au nombre de types de courbures rachidiennes considérés, la nouvelle classification proposée apporte donc de l’information complémentaire à la classification actuelle des types de courbures rachidiennes. Une analyse de corrélation entre les descripteurs du tronc et ceux de la colonne vertébrale, dans les trois plans de l’espace montrent effectivement un lien étroit entre la déviation latérale du tronc et du rachis dans le plan frontal, et à moindre échelle dans le plan sagittal. Par contre, dans le plan axial, aucune corrélation significative n’est démontrée entre la rotation du dos et celle des vertèbres. Ainsi, il est possible de conclure que le nouvel index des déformations du tronc pourrait être utilisé au stade de diagnostic et de suivi de la scoliose pour documenter la gibbosité et les déviations du rachis dans les plans frontal et sagittal, tout en réduisant l’exposition des patients aux rayons X.
En conclusion, ce projet propose un nouvel index tridimensionnel fiable et multi niveaux pour l’évaluation quantitative non irradiante des déformations scoliotiques du tronc, principales préoccupations des jeunes patients scoliotiques. Il peut donc remplacer le scoliomètre et le fil à plomb dans l’évaluation clinique de la scoliose et contribuer à réduire l’exposition des patients aux rayons X notamment durant le suivi clinique. L’utilisation de cet index en milieu clinique est un premier pas concret vers une prise en charge plus globale des déformations scoliotiques, permettant ainsi de réduire l’écart entre ce que le patient perçoit et ce que le clinicien évalue.
En perspective, plusieurs études cliniques sont à entrevoir dans le but de prendre en charge la scoliose, de manière plus globale et moins irradiante, et ce, aux stades du diagnostic, du suivi et du traitement. Une analyse quantitative de la forme du tronc, moyennant le nouvel index proposé, dans une cohorte de sujets volontaires sains permettrait de dégager un intervalle de normalité, au-delà-duquel une scoliose serait suspectée. Ensuite, une étude clinique prospective, avec évaluations radiographique et surfacique à chaque visite, permettrait de définir un seuil au-delà duquel une différence dans les mesures surfaciques indiquerait un réel changement au niveau de la colonne vertébrale. Enfin, une nouvelle analyse de regroupements sur une cohorte comportant exclusivement des cas de scolioses sévères, candidats à la chirurgie, conduirait à une nouvelle classification chirurgicale des troncs scoliotiques. Celle-ci permettrait éventuellement de proposer de nouvelles stratégies chirurgicales adaptées à chaque type de déformations et qui amélioreraient le résultat esthétique ainsi que la satisfaction des jeunes patients après le traitement.
Adolescent idiopathic scoliosis is a complex three-dimensional deformation of the spine and rib cage which leads to visible deformations at the trunk surface. The first signs of scoliosis include a hump on the back, a lateral shift of the trunk and asymmetries of the shoulders, the scapula, the waist and the hips. These esthetic deformities constitute major concern of patients and the reason for which they seek treatment. Currently, the tools available in clinical practice to quantify trunk deformations have limited reliability. For this reason, current scoliosis assessment is mainly based on frontal and lateral radiographs of the entire spine. These images allow clinicians to determine the type of the spinal curvature and its severity, according to which the treatment strategy is decided. However, the repeated exposure of patients to X-ray radiation can be harmful. Moreover, these radiographic measures do not give an indication as to the esthetic deformities of the trunk. This significant difference between what patients perceive and what clinicians are able to evaluate can lead to patient dissatisfaction following treatment.
Compared to X-rays, the trunk surface acquired and reconstructed in 3D using optical digitizers better represents the deformations that patients observe and are primarily concerned with, such as the rib hump. In addition, the major advantage of these optical systems is their lack of ionizing radiation, thus allowing for a more frequent scoliosis assessment when compared to X-rays. However, there is currently no consensus on a set of indices that optimally quantifies trunk surface deformations. For this reason, trunk surface indices are still considered as secondary in the clinical evaluation, even though they are at the heart of the patients’ preoccupations.
These problems lead to the main research question of this thesis: How can we complete, or even replace, the current clinical and radiographic evaluations of scoliosis with quantitative information obtained without ionizing radiation that takes more into account the patients’ concerns about their cosmetic trunk deformities?
Among the first signs of scoliosis, the rib hump is a cosmetic deformity that cannot be assessed on radiographs, nor on a 3D reconstruction of the spine. It is mainly associated with rib cage deformity. It is therefore intuitive to suppose that the axial rotations of the ribs and of the back surface are highly correlated. Nevertheless, previous works have failed to demonstrate a strong relationship between these measurements. This might be explained by the limited accuracy of the technique used for the 3D reconstruction of the ribs. Consequently, in this work, a novel method for the 3D reconstruction of scoliotic ribs is proposed. It requires a pair of standard frontal and sagittal radiographs, which are usually acquired for the 3D reconstruction of the spine. The proposed method is evaluated on 13 patients with scoliosis and compared to the existing reconstruction technique. Results obtained using the new method show a strong correlation between the ribs’ and the back surface’s axial rotations, which leads to the conclusion that the back surface rotation allows clinicians to quantify the rib hump without resorting to X-rays.
Besides the rib hump, the trunk of a scoliotic patient reveals other deformations. In order to provide a complete scoliosis assessment by taking patients’ concerns more into account, it is necessary to consider all of the cosmetic deformities of the trunk. Thus, a new set of trunk shape features is introduced. Thanks to its original functional representation, this new index allows a local description of the deformation at all trunk levels and not only at its apex. The proposed index includes complementary measurements taken in the three planes: the back surface axial rotation, the trunk deviation in the frontal plane and the trunk deviation in the sagittal plane. The reliability of this index has been demonstrated on a cohort of 32 scoliotic patients. For each patient, the surface of the trunk was acquired twice with patient repositioning. The reliability study also helped define, for each trunk level, a minimum interval beyond which a difference between two trunk acquisitions is significant. This notably allows for radiography-free monitoring of trunk deformities and assessment of the cosmetic outcome of the scoliosis treatment.
The new index was then used to prove the existence of natural clusters of trunk surfaces in a cohort of 236 individuals, comprised of healthy subjects and scoliosis patients. The resulting clusters constitute an original classification of scoliotic trunk deformities, varying according to the type and the severity of the deformations and obtained using a non-supervised approach, unlike existing scoliosis trunk classifications. A classification of the different types of scoliotic trunks helps to define a common vocabulary for clinicians and to identify for each class a distinct pattern of progression, and eventually, a suitable management. The 11 clusters obtained are consistent in 68% of cases with the spinal curve type as assessed on a frontal radiograph. In addition, since the number of resulting clusters is greater than the number of spinal curve types considered, the proposed new classification provides complementary information to the current classification of spinal curves.
A correlation analysis between the new trunk measurements and those of the spine in the three planes shows a strong relation between the trunk and the spinal lateral deviation in the frontal plane, and to a lesser extent in the sagittal plane. However, in the axial plane, no significant correlation was demonstrated between the rotations of the vertebrae and of the back surface. Thus, it can be concluded that the new trunk deformity index could be used in the context of diagnosis and monitoring to document the rib hump and the spinal deviations in the coronal and sagittal planes, while reducing patients’ exposure to X-rays.
In conclusion, this thesis proposes a new and reliable multi-level 3D index for quantitative and radiation-free assessment of cosmetic trunk deformities, which constitute the main concern for young scoliotic patients. It can replace the scoliometer and plumb line used for the clinical assessment of patients with scoliosis. It can also help to reduce patient exposure to X-rays, especially during clinical monitoring. The use of this index in clinical practice will be a first meaningful step towards a more complete management of scoliotic deformities, thereby reducing the gap between what patients perceive and what clinicians are able to assess.
In future work, several clinical studies should be conducted in order to provide more global and radiation-free scoliosis diagnosis, follow-up and treatment techniques. Firstly, a quantitative trunk shape analysis of healthy voluntary subjects using the proposed index would allow a normal range of trunk shapes to be established, beyond which scoliosis could be suspected. Furthermore, a prospective clinical study, with radiographic and trunk surface evaluations at each visit, would help in identifying a threshold beyond which a difference in trunk surface measurements would indicate a significant change in the spinal curve. Finally, a clustering analysis applied to the trunk surfaces of a cohort of patients with severe scoliosis and who are eligible for surgery, could lead to a novel surgical classification of scoliotic trunk deformities. This classification would help, in turn, to define new surgical strategies adapted to each type of deformity and subsequently to improve the cosmetic outcome and patients’ satisfaction after treatment.