L’environnement mécanique est essentiel pour permettre la croissance normale des os longs et vertèbres. À l’inverse, les chargements mécaniques peuvent aussi entrainer la progression de déformations musculosquelettiques pédiatriques, comme la scoliose idiopathique adolescente, une déformation tridimentionnelle du rachis. Plus spécifiquement, le principe de modulation mécanique de la croissance indique que l’augmentation de compression ralentit la croissance alors que la réduction de compression l’accélère. De nouvelles approches sans fusion pour le traitement des jeunes patients avec des scolioses précoces sévères ou idiopathiques adolescentes modérées sont basées sur ce principe et exploitent le potentiel de croissance restant des patients pour corriger les déformations. Ces approches sont dites sans fusion entre les niveaux vertébraux adjacents car elles évitent d’enlever les disques, comme dans les chirurgies standard avec instrumentation, permettant ainsi de maintenir la mobilité rachidienne. Or, comme les patients peuvent avoir un potentiel de croissance résiduel après correction de leurs déformations et retrait des implants, il convient de s’assurer que ce potentiel de croissance demeure actif après la fin du traitement. Des études in vivo ont montré que les chargements dynamiques préservaient davantage la plaque de croissance. Cependant, aucune étude in vivo n’a caractérisé la modulation de croissance suite à différents profils de chargements dynamiques. Par ailleurs, la reprise possible de croissance suite au retrait de compression contrôlée n’a jamais été investiguée. De plus, les chargements mécaniques sont également un des facteurs contribuant à la dégénérescence discale. Il devient donc d’intérêt d’investiguer la réponse mécanobiologique du disque intervertébral sous une compression visant la modulation de croissance souhaitée par les traitements sans fusion du rachis. L’objectif général de ce projet consiste à appliquer in vivo, avec le modèle du rat, une modulation de croissance osseuse contrôlée et à vérifier si l’intégrité tissulaire et fonctionnelle de la plaque de croissance et du disque intervertébral est préservée suite à l’application de différents profils de compressions statiques et dynamiques et ce, immédiatement suite au chargement et également suite à une période subséquente de retrait du chargement.
Tout d’abord, une première étude expérimentale a été réalisée sur des rats répartis en cinq groupes : contrôle, sham (0 MPa), dynamique à haute fréquence (0.2 MPa ± 30% à 1.0 Hz), dynamique à haute amplitude (0.2 MPa ± 100% à 0.1 Hz), et dynamique avec hautes fréquence et amplitude (0.2 MPa ± 100% à 1.0 Hz). Un appareil de micro-chargement a été implanté pour transmettre les compressions à la 7ème vertèbre caudale, pendant 15 jours. Les taux de croissance, la hauteur totale de la plaque de croissance et de ses zones, la hauteur des chondrocytes hypertrophiques et la densité linéaire de la zone proliférative ont ensuite été mesurés et comparés entre les groupes. Les résultats montrent que la modulation mécanique de croissance est contrôlée par la contrainte moyenne. En effet, le taux de croissance a diminué similairement de 22.4% et 23.0%, respectivement pour les dynamiques avec augmentation de fréquence ou bien d’amplitude comparé aux shams. Les hauteurs totales et des zones des plaques de croissance ainsi que la hauteur moyenne des chondrocytes hypertrophiques et la densité linéaire de chondrocytes prolifératifs sont demeurés similaires entre shams et dynamiques avec augmentation de fréquence ou bien d’amplitude. Par contre, l’augmentation combinée de fréquence et d’amplitude a entrainé des infections sur les animaux, suggérant que la contrainte résultante réellement ressentie par les tissus était plus élevée que celle ciblée (0.2 MPa) et plus grande que la capacité d’adaptation des tissus.
Par la suite, une seconde étude expérimentale a été effectuée sur des rats répartis en deux groupes (2 semaines et 4 semaines) comprenant chacun quatre sous-groupes : contrôle, sham (0 MPa), statique (0.2 MPa) et dynamique (0.2 MPa ± 30% à 0.1 Hz). Les rats de 2 semaines ont eu 15 jours de compression, alors que ceux du groupe de 4 semaines ont reçu 15 jours de compression suivis de 10 jours de retrait de compression avant euthanasie. La compression était transmise à la 7 ème vertèbre caudale et aux deux disques intervertébraux adjacents par un appareil de microchargement modifié et adapté aux besoins expérimentaux. D’une part, les taux de croissance, l’histomorphométrie de la plaque de croissance et la minéralisation au niveau de la zone de calcification provisionnelle ont été mesurés et comparés entre les groupes et sous-groupes. D’autre part, la structure (hauteur, proportion noyau/anneau) et le contenu en protéoglycanes du noyau du disque intervertébral ont été quantifiés et comparés entre les groupes et sous-groupes. Pour vérifier l’absence de douleur neuropathique causée par l’implantation de l’appareil ainsi que l’ajout de compression, des mesures quantitatives par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse des concentrations en substance P et en peptide relié au gène de la calcitonine (CGRP) ont été réalisées à partir de la corne dorsale des moelles épinières. Les résultats de croissance et d’histomorphométrie de la plaque de croissance des deux groupes (2 et 4 semaines) ont montré que la modulation de croissance était similaire suite à l’application suivie du retrait de compressions statique ou dynamique avec une même contrainte moyenne. À 2 semaines, les taux de croissance étaient réduits de 20.1% et de 19.7% pour les groupes statique et dynamique, comparé aux shams, avec une réduction de la hauteur totale de la plaque de croissance de 11.7% et 10.8%, respectivement pour les statique et dynamique par rapport aux shams. À 4 semaines, aucune différence significative n’a été observée sur les taux de croissance ni les hauteurs de plaque de croissance entre shams et groupes chargés. La minéralisation était augmentée après retrait de compression dynamique à 4 semaines, de 2.1% comparé aux contrôles et 2.4% comparé aux groupes shams et statiques. En effet, un chargement de type dynamique favoriserait les échanges de fluide, donc le transport d’ions, de nutriments et autres protéines, ce qui permettrait d’augmenter le métabolisme cellulaire, le renouvèlement de la matrice et le processus de minéralisation. En termes de structure du disque intervertébral, les deux compressions statique et dynamique ont réduit les ratios de hauteur du disque (disque chargé divisé par le disque contrôle) similairement de 18.4% et 18.7% respectivement par rapport aux shams et ce, même après retrait de compression avec 23.6% et 25.6% de réduction. Cependant, le type de compression a pu être discriminé au niveau du contenu en protéoglycanes du noyau qui, d’abord augmenté directement suite aux compressions statique et dynamique de 20.4% et 23.5% respectivement par rapport aux shams, a diminué après retrait de compression statique (aucune différence comparé aux shams) par rapport au scénario dynamique (28.8% d’augmentation comparé aux shams). L’application de compression statique pourrait causer un clivage de protéoglycanes, mais tant que la compression est maintenue les portions de protéogycanes resteraient dans le noyau. Par contre, après retrait de compression, les petits fragments de protéoglycanes pourraient migrer hors du noyau, ce qui expliquerait la diminution observée. Or, la perte de protéoglycanes du noyau est un signe précurseur de dégénérescence discale. De ces observations, il est suggéré que la compression dynamique préserverait davantage l’intégrité du disque intervertébral à plus long terme. Aucune différence n’a été observée dans les concentrations en substance P et en CGRP entre les groupes et sous-groupes. Les valeurs numériques étaient semblables à celles des rats sains de la littérature et il a donc été conclu que l’implantation de l’appareil et l’application de compression n’entrainait pas de douleur neuropathique à long terme.
Les limites de ce projet incluent le nombre restreint d’animaux utilisés par groupe pour la première étude expérimentale, essentiellement dû à des problèmes d’approvisionnement rencontrés avec le système de chargement, qui a par la suite été revu et modifié pour la seconde étude. L’utilisation du modèle animal du rat comporte aussi des limites intrinsèques pour le transfert de ces connaissances vers l’homme, dont sa quadrupédie modifiant le mode de chargement ainsi que sa petite taille. De plus, les disques intervertébraux des rats comportent des cellules notochordales avec un métabolisme plus élevé et donc un potentiel de régénération plus rapide que l’homme, ce qui rend ce modèle conservateur. Enfin, les mécanismes biologiques et moléculaires ainsi que la composition de la matrice extracellulaire de la plaque de croissance, qui jouent un rôle important dans la régulation de la croissance et la compréhension des phénomènes d’interaction entre chargement appliqué macroscopiquement et réponse cellulaire, n’ont pas été traités dans ce projet.
En dépit des limitations, cette étude est la première à investiguer in vivo l’effet de différentes combinaisons de paramètres de compression dynamique cyclique (fréquence, amplitude) sur la modulation de croissance. Par ailleurs, elle apporte des connaissances sur la mécanobiologie de la plaque de croissance et du disque intervertébral suite à l’application et au retrait subséquent de deux types de compression (statique, dynamique), pendant la poussée de croissance du rat analogue à l’adolescence chez l’homme. L’ensemble de ces connaissances présente un grand intérêt clinique pour le développement de nouveaux implants sans fusion et les impacts des traitements actuels appliquant de la compression sur les tissus mous de jeunes patients.
Pour conclure, à modulation de croissance identique, la compression dynamique préserverait davantage l’intégrité et la fonctionnalité des tissus mous (plaque de croissance, disque intervertébral) que la compression statique. Ces connaissances sont essentielles afin de mieux comprendre, prévoir les effets à plus long terme et concevoir des traitements offrant le meilleur compromis aux jeunes patients en période de croissance et avec des déformations musculosquelettiques progressives.
Mechanical loading is essential for normal bone growth of long bones and vertebrae. Conversely, mechanical loading can also lead to the progression of pediatric musculoskeletal deformities, such as adolescent idiopathic scoliosis, a three-dimensional spinal deformity. More specifically, the principle of the mechanical modulation of bone growth states that increasing compression reduces bone growth, while reducing compression accelerates it. Novel fusionless approaches for the treatment of pediatric patients with severe early onset scoliosis or moderate adolescent idiopathic scoliosis are based on this principle and exploit the remaining growth potential of patients to correct deformities. These approaches are fusionless since they avoid adjacent vertebral fusion and disc retrieval, as in standard surgery procedures using heavy instrumentation, and therefore maintain spinal mobility. However, since patients can still have remaining growth potential after correction of their deformities and implant removal, it is important to ensure that this growth potential remains active post-treatment. In vivo studies have shown that dynamic loading would better preserve growth plate tissue. However, no in vivo study has investigated growth modulation following several dynamic loading conditions or possible growth resumption after removing controlled loading. In addition, mechanical loading contributes to disc degeneration. It is therefore of interest to investigate the mechanobiological response of the intervertebral disc under compression used for fusionless treatments applications to modulate growth. The overall objective of this project is to apply in vivo controlled bone growth modulation using the rat tail model in order to verify if the integrity of growth plate and intervertebral disc tissues and their functionalities is preserved following different profiles of static and dynamic compression, immediately following loading, and after a period of unloading.
First, an experimental study was conducted on rats divided into five groups: control, sham (0 MPa), dynamic at high frequency (0.2 MPa ± 30% at 1.0 Hz), dynamic with high magnitude (0.2 MPa ± 100% at 0.1 Hz), and dynamic with both high frequency and magnitude (0.2 MPa ± 100% at 1.0 Hz). A micro-loading device was implanted to apply compression to the 7th caudal vertebra for 15 days. Growth rates, growth plate total height and zone height, hypertrophic chondrocyte height and linear density in the proliferative zone were measured and compared between groups. Results show that mechanical modulation of bone growth is controlled by the average stress value. Growth rate was similarly reduced by 22.4% and 23.0%, respectively for the dynamic group with increased frequency or magnitude compared with shams. Growth plate total height and zone height, as well as hypertrophic chondrocyte mean height and linear density of proliferative chondrocytes remained similar between the sham and dynamic group with either increased frequency or magnitude. However, the combination of increased frequency and magnitude lead to infection, suggesting that the resulting stress on tissues exceeded the theoretical mean stress value (0.2 MPa) as well as the tissue adjustment capacity.
A second experimental study was conducted on rats distributed in two groups (2 weeks and 4 weeks), each of them containing four subgroups: control, sham (0 MPa), static (0.2 MPa) and dynamic (0.2 MPa ± 30% at 0.1 Hz). In the 2 week group, rats sustained 15 days of compression, while rats in the 4 week group received 15 days of compression followed by 10 days of unloading prior to euthanasia. Compression was applied to the 7th caudal vertebra and the two surrounding intervertebral discs with a micro-loading device modified and adapted to experimental requirements. First, growth rates, growth plate histomorphometry and mineralization at the provisional calcification zone were measured and compared between groups and subgroups. Second, structure (height, nucleus/annulus proportion) and proteoglycan content of the intervertebral disc nucleus were quantified and compared between groups and subgroups. To verify the lack of neuropathic pain induced by device implantation and added compression, quantitative measurements of substance P and calcitonin gene-related peptide (CGRP) were performed on the dorsal horn of rat spinal cords using high performance liquid chromatography coupled with mass spectrometry. Results of growth rates and growth plate histomorphometry of the two groups (2 and 4 weeks) showed that growth modulation was similar following application and subsequent removal of both stress-equivalent static and dynamic compression. At 2 weeks, growth rates were reduced by 20.1% and 19.7% in the static and dynamic groups, compared to shams, along with a reduction of total growth plate height of 11.7% and 10.8%, respectively for the static and dynamic groups compared to shams. At 4 weeks, no significant difference was observed in the growth rates and growth plate heights between shams and loaded groups. Mineralization was increased following dynamic compression removal at 4 weeks, by 2.1% compared to controls and 2.4% compared to both sham and static groups. Indeed, dynamic loading would stimulate fluid exchange, and therefore transportation of ions, nutrients and other proteins, which would increase cell metabolism, matrix turnover and the mineralization process. Concerning intervertebral disc structure, both static and dynamic compressions reduced disc height ratios (loaded disc divided by control disc) similarly by 18.4% and 18.7% respectively compared to shams, and this reduction remained by 23.6% and 25.6% respectively following unloading. However, compression type was discriminated according to nucleus proteoglycan content, which at first directly increased by 20.4% and 23.5% when applying static and dynamic compression compared with shams, but decreased after static compression removal (no difference compared with shams) in relation to the dynamic scenario (28.8% increase compared to shams). Static compression could result in proteoglycan cleavage, but as long as compression is maintained, proteoglycan fragments would remain within the nucleus. Nonetheless, after compression removal, smaller proteoglycan fragments could migrate outside of the nucleus, which would explain the observed reduction. Yet, nucleus proteoglycan loss is an early sign of disc degeneration. These observations suggest that dynamic compression would better preserve long-term intervertebral disc integrity. No difference was obtained in substance P and CGRP concentrations between groups and subgroups. Numerical values were similar to healthy rats in the literature. It was concluded that device implantation and compression application did not cause long-term neuropathic pain.
Limitations of this research project include a restricted number of animals per group in the first experimental study, caused by supply problems encountered with the loading system, which had been revised and modified prior to use in the second study. Moreover, the rat model comprises inherent limitations for knowledge transfer to humans, namely loading modifications caused by quadrupedal movement as well as its small size. Rat intervertebral discs contain notochordal cells, which have higher metabolism, and therefore a faster regeneration potential than humans, which makes it more preservative. Finally, biological and molecular mechanisms, along with growth plate extracellular matrix composition, which play a key role in growth regulation and the understanding of interaction phenomena between macroscopically applied loading and cellular response, were not addressed in this thesis.
Despite the aforementioned limitations, this study is the first to investigate different combinations of cyclic dynamic compression parameters (frequency, magnitude) on growth modulation in vivo. Moreover, the study provides knowledge on growth plate and intervertebral disc mechanobiology following application and subsequent removal of static and dynamic compression during the rat growth spurt, similar to human puberty. This knowledge presents clinical interest for the development of new fusionless implants and the understanding of the impacts of current treatments applying compression on soft tissues in pediatric patients.
In conclusion, with similar growth modulation, dynamic compression would better preserve the integrity and functionality of soft tissues such as the growth plate, and intervertebral disc, compared to static compression. This knowledge is essential in order to better understand, as well as predict long-term effects and design treatments offering the best compromise to pediatric growing patients with progressive musculoskeletal deformities.