Dans le domaine de la biologie végétale, la reproduction sexuelle des plantes par pollinisation est un sujet d’intérêt présentant plusieurs enjeux humains et économiques. Le tube pollinique est une cellule végétale indispensable à la pollinisation des fleurs. La croissance de la cellule végétale se fait par une déformation de la paroi l’entourant sous l’effet de la pression hydrostatique interne, la turgescence. Simultanément, de nouveaux matériaux doivent être livrés vers la paroi pour empêcher qu’elle n’éclate à cause de l'amincissement causé par l'étirement. Chez le tube pollinique, l'expansion de surface est localisée à l’apex de la cellule et le résultat du processus est une protubérance de forme cylindrique. Ce mode de croissance combiné au système biologique particulier du tube pollinique en fait un modèle privilégié pour les études mécaniques des cellules végétales en croissance. De nombreux modèles portant sur la croissance apicale ont été construits afin d’étudier les paramètres et processus impliqués. Ces modèles présentent différentes manières d’aborder le problème que ce soit des approches géométriques, mathématiques ou mécaniques mais dans chacun des constantes demeurent comme l’axisymétrie du tube. La méthode des éléments finis permet de représenter des formes complexes ou de changer facilement les modèles mathématiques utilisés pour les calculs. Ce potentiel est particulièrement adapté pour l’étude de structures biologiques amenées à changer de forme ou de propriétés mécaniques. Cette approche de modélisation par éléments finis a été privilégiée dans ce projet.
Le premier objectif de ce projet de maitrise visait à développer un modèle par éléments finis représentant la croissance du tube pollinique permettant de changer facilement les paramètres mécaniques, géométriques et de chargement du tube pollinique. Le modèle a été construit en se basant sur l’observation expérimentale, soit un long cylindre avec un rayon de 6 µm, terminé par un apex de la forme d’un sphéroïde prolate. La paroi, d’une épaisseur moyenne fixée à 50 nm, a été modélisée par des éléments de type SHELL 181 via un maillage structuré. Ces éléments possèdent un comportement de type «coque» adéquat pour représenter la paroi et pourraient être modifiés dans le futur pour intégrer la viscoplasticité. Le tube a cependant été soumis à un comportement linéaire élastique dans un premier temps. Le coefficient de Poisson utilisé était alors fixé à 0.3. Les principaux paramètres du modèle incluaient entre autres les modules d’Young de la paroi cellulaire ainsi que leur gradient le long du tube, dans le but de tenir compte de la composition biochimique de la cellule très variable entre l’apex et la partie cylindrique du tube. Afin de couvrir un grand nombre de cas possibles, des valeurs différentes pour le module d’Young du matériau composant la paroi cellulaire ont été assignées dans les directions longitudinale (parallèle à l’axe du tube) et transversale (tangent à la paroi). De plus, les valeurs d’élasticité longitudinal étaient de 12.5 MPa à l’apex et jusqu’à 4000 MPa dans la partie distale. Afin de représenter les gradients de modules, deux coefficients multiplicatifs mL et mT, variant respectivement entre 1.5 et 3 et entre 0.5 et 3, ont été mis en place. Le gradient des modules d’Young a alors été défini en combinant ces coefficients et la séparation du tube en sept domaines de taille paramétrée le long de son axe. Afin de modéliser la croissance, une pression interne de turgescence, variant entre 0.1 et 0.4 MPa, a été simulée à l’intérieur du tube. Dans le but de réduire les temps de calcul, seul un quart du tube était représenté et les conditions aux limites correspondaient alors à la fixation des déplacements radiaux et longitudinaux sur chacune des bordures. L’application de cette pression interne couplée aux conditions limites entraînait une déformation de la paroi et représentait un cycle de croissance. Suite à l’atteinte de l’équilibre, la géométrie du modèle était mise à jour pour cet état de grandes déformations, puis la pression interne était appliquée à nouveau et ce, pour le nombre de cycles de croissance requis.
Le second objectif de ce projet de maitrise visait à valider géométriquement le modèle par éléments finis développé, pour le cas d’une croissance unidirectionnelle, à l’aide de résultats expérimentaux. Deux méthodes ont été mises en place. La première méthode de validation a consisté à vérifier le caractère «self-similar» de la croissance, i.e. une croissance du tube conservant la même forme à l’apex et en formant un cylindre de plus en plus long. La deuxième méthode de validation a repris des résultats expérimentaux sur l’évolution de traceurs à la surface du tube, i.e. les trajectoires de billes fluorescentes déposées sur la paroi et suivies durant la croissance. Le principe consistait à retracer ces trajectoires dans les simulations et à les comparer avec celles de l’expérience. L’ensemble de ces deux méthodes a permis de s’assurer que le choix final pour les paramètres du modèle était bien conforme à la réalité.
Afin d’obtenir une croissance unidirectionnelle pour laquelle la forme de l’apex reste constante, trois plans d’expérience ont alors été réalisés successivement s’affinant au fur et à mesure grâce à la modification planifiée du gradient du module d’Young. La première série de 64 simulations, comportant des variations sur les deux coefficients multiplicatifs mL et mT ainsi que sur la répartition angulaire des sept domaines paramétrés le long du tube, visait à éliminer un certain nombre de combinaisons par une évaluation visuelle des résultats à l’aide de la première méthode de validation. Elle a permis de constater que, de manière générale, une paroi constituée de matériau isotrope permet de mieux représenter une croissance durant laquelle l’apex conserve sa forme à la différence d’un matériau orthotrope. Afin de tenir compte de cette première conclusion, le deuxième plan de 32 combinaisons comportait uniquement des simulations avec une paroi isotrope (mT=1, variation de mL et de la distribution d’angle). L’évaluation des résultats de ces deux séries de simulations a alors été effectuée de manière qualitative à l’aide des deux méthodes de validation. Il apparaissait qu’augmenter mL ou mT provoquait une diminution progressive du diamètre du tube à chaque pas et inversement. Cette constatation a donc permis de préciser l’influence des paramètres afin d’obtenir le dernier plan, soit huit simulations (choix des meilleurs résultats du plan précédent) répondant davantage aux exigences de conservation de la forme et d’évolution surfacique. Ces dernières combinaisons ont alors été soumises à une validation quantitative permettant d’aboutir à des données justifiant le choix du modèle final.
Quelques limitations ont été identifiées dans ce projet, principalement reliées à la modélisation par éléments finis. Dans les simulations, la modélisation de la croissance du tube, qui requière la redéfinition systématique de la géométrie à chaque cycle, entraîne de faibles erreurs (d’un ordre de grandeur très inférieur à la taille de la structure) dans la reconstruction de la géométrie du tube. En effet, les points de contrôle du maillage sont définis par leurs coordonnées mais lors de la redéfinition de la géométrie ces points doivent s’adapter à la répartition prédéfinie des angles qui doit rester constante. Ces différences sont cependant atténuées par la possibilité d’augmenter la précision du maillage. Par ailleurs, la définition discontinue du gradient de module d’Young, entraînant des écarts plus ou moins importants entre chacun des sept domaines, pourrait entraîner des concentrations de contraintes dans la paroi du tube. Aucune anomalie particulière qui pourrait être due à ces discontinuités n’a cependant été détectée dans les résultats.
Le travail réalisé a apporté de nombreux résultats très concluants sur la distribution des propriétés mécaniques dans la paroi du tube pollinique. La combinaison de paramètres qui produisait un tube parfaitement cylindrique et "self-similar" dans le temps, et un patron de déformation similaire à celui observé en expérience, était caractérisée par un gradient de module d'Young isotropique dont la forme correspondait à la répartition des matériaux dans la paroi. Le tube pollinique est entouré d'une couche polysaccharidique riche en pectine. Tandis qu'à l'apex la pectine a un degré élevé de methyl-estérification, ces polymères sont dé-méthyl-estérifiés en se déplaçant vers la partie cylindrique. La des-estérification de la pectine entraine une modification de la rigidité et la localisation spatiale de ce changement chimique se retrouve exactement à l'endroit de changement le plus prononcé de la rigidité de la paroi qui avait été prédit par le modèle.
L’étude de l’influence des différents paramètres a permis de déterminer que la pression, le rayon du tube ou l’épaisseur de la paroi (si elle est changée uniformément) ont un impact minime sur la l’évolution qualitative de la forme du tube en croissance. Parmi les paramètres mécaniques et géométriques étudiés, seul le gradient du module d’Young a entraîné des modifications de formes. Le résultat d'une telle manipulation des propriétés mécanique a déjà été démontré dans les expérimentations biologiques. Il apparaissait aussi dans les simulations que chaque combinaison semblait converger vers un diamètre du tube propre aux paramètres utilisés. Cet aspect montre que le modèle parvient à se stabiliser et ce phénomène pourrait être utilisé afin de trouver un gradient «idéal» par l’établissement d’une relation unissant les paramètres. Enfin, il pourrait aussi être envisagé d’apporter plusieurs éléments afin d’améliorer le réalisme biologique tels que l’intégration de la structure interne de la cellule, de la distinction des matériaux de la paroi ou encore le phénomène d’apport de matériau.
Le modèle développé pourrait dans le futur être modifié et exploité afin de simuler les croissances particulières telles que le gonflement, le rétrécissement ou les changements de directions. L’ensemble de ces améliorations permettront d’obtenir un modèle réaliste et fonctionnel du processus de croissance du tube pollinique et de ses anomalies potentielles. Enfin et surtout, l’outil de modélisation ainsi créé mènera à une meilleure compréhension dans ce domaine particulier de la biologie par l’apport de nouvelles données.
In the field of plant biology, sexual reproduction through pollination is a topic of interest since it affects human life and economic issues. The pollen tube is a plant cell that is indispensable for the pollinisation of flowers. Plant cell growth occurs by a deformation of the surrounding wall under the effect of an internal hydrostatic pressure, the turgor pressure. At the same time, new material has to be delivered to the wall in order to prevent bursting caused by the thinning of the wall that in turn is a result of the turgor induced stretching. In the pollen tube, surface growth is located at the apex of the cell and it leads to the formation of a cylindrical protuberance. This type of growth, combined to the particular biological system of the pollen tube, provides an excellent model for mechanical studies of growing plant cells. Numerous models for apical growth have been used to study the parameters and processes involved. These models present different methods to approach the problem whether it is geometrical, mathematical or mechanical. However, most of these models depend on the axisymmetry of the tubular structure. The finite element method allows one to represent complex shapes or to easily change the mathematical models used for calculation. This potential is particularly suited for the study of biological structures that are able to change shape or to manipulate their mechanical properties. The finite element modeling approach has been adopted in this project.
The first objective of this project was to develop a finite element model representing the growth of the pollen tube that would allow to easily change mechanical parameters, geometry and loading. The model was constructed based on experimental observation. It consisted in a long cylinder with a radius of 6 μm, terminated by an apex shaped as a prolate spheroid. The wall, with an average thickness fixed at 50 nm was modeled by elements of type SHELL 181 via a structured mesh. These elements behave as a thin "shell" and are thus an appropriate choice to represent the relatively thin wall of the pollen tube. Although they offer the possibility to incorporate viscoplastic material properties, we have chosen a linear elastic behavior for this first version of the model. The value for Poisson’s coefficient was fixed at 0.3. The main parameters of the model included the Young’s modulus of the cell wall and its gradient along the tube, in order to take into account the changing biochemical composition of the cell wall between the apex and the cylindrical region. To cover a large number of possible cases, different values for the Young's modulus of the cell were assigned in the longitudinal (parallel to the tube axis) and transverse directions (tangential to the wall). The longitudinal elasticity values were determined to be 12.5 MPa at the apex and up to 4000 MPa in the distal region. To manipulate the gradient in Young's modulus, the tube was separated into seven domains of parameterized size along its longitudinal axis, and two coefficients, mL and mT, were introduced. mL links the Young's modulus of a given surface domain to that of the apex and ranges between 1.5 and 3. mT determines anisotropy within a given domain and ranges between 0.5 and 3. To model growth, an internal turgor pressure, varying between 0.1 and 0.4 MPa, was simulated inside the tube. In order to reduce computation time, only one quarter of the tube was represented and the boundary conditions corresponded to the fixation of radial and longitudinal edges. The application of this internal pressure coupled with boundary conditions resulted in a deformation of the wall and represented one growth cycle. After achieving equilibrium, the geometry of the model was updated for this state of large deformation and internal pressure was applied again. This process was repeated for the required number of cycles to produce a significant amount of growth.
The second objective of this project was to geometrically validate the finite element model developed for the case of unidirectional growth. This validation was based on a comparison with experimental results. Two methods were developed for this purpose. The first validation method determined the degree of temporal self-similarity of the growth process, i.e. the ability of the simulation to produce a tube with unchanged shape at the apex and increasing length of the cylindrical region. The second validation method used experimental results showing the displacement of tracers placed on the surface of the tube. These trajectories were marked by fluorescent beads deposited on the wall and monitored during growth. These trajectories were reproduced in the simulations and compared with experimental data. Together these methods enabled us to identify a parameter combination that generates a growth pattern similar to that produced by a real pollen tube.
To obtain a unidirectional growth for which the shape of the apex remains constant, three sets of simulations have been performed in order to cover a large number of combinations. The first set of 64 simulations was based on variations of the two coefficients mL and mT and of the angular distribution of the seven parameterized domains along the tube. Visual assessment of the results suggested that a cell wall consisting of an isotropic material represents pollen tube growth better than a wall made from orthotropic material. Subsequently, a second set of 32 combinations was tested, including only simulations with an isotropic wall (mT=1, variation of mL and angle distribution). Visual assessment of these two set of simulations showed that an increase in mL or mT caused a gradual decrease of the tube diameter at each step and vice versa. Eight simulations were then chosen based on this set and subjected to quantitative comparison using our two validation methods. Finally, we identified one parameter combination that best reproduced the self-similar pattern of apical growth in pollen tubes.
The Finite Element Method, althoug very versatile, also had limitations. Systematic redefinition of the geometry at each cycle resulted in minor errors during reconstruction of the tube geometry. These were, however, an order of magnitude smaller than the size of the structure. The reason for these errors was the fact that the control points of the mesh are defined by their coordinates, but that in redefining the geometry these points had to adapt to the predefined distribution of angles, which in turn needed to remain constant. These errors were minimized, however, due to the high density of the mesh used here. Furthermore, the definition of the discontinuous gradient in the Young’s modulus leads to small stress concentrations at the domain boundaries. However, this did not significantly affect the deformations and the final shape.
This work has allowed us to make conclusions on the distribution of mechanical properties in the wall of the pollen tube. The combination of parameters that produced a perfectly cylindrical tube and that was self-similar in time, was characterized by a gradient of isotropic Young's modulus whose shape corresponded to the distribution of material in the wall. The pollen tube is surrounded by a polysaccharide layer rich in pectin. While at the apex the pectin has a high degree of methyl-esterification, these polymers are de-methyl-esterified moving towards the cylindrical part. The de-esterification of pectin causes a change in the rigidity of this material and the spatial location of the change in chemical configuration was found exactly where the most pronounced change in the rigidity of the wall was predicted to be.
Furthermore, The study of the influence of different parameters determined, that the pressure, the radius of the tube or the thickness of the wall (as long as it is modified uniformly) have minimal impact on the qualitative change in the shape of tube growth. Among the mechanical and geometrical parameters that were studied, only the gradient of Young's modulus resulted in shape changes. The result of such manipulation of mechanical properties has already been demonstrated in biological experiments. It also appeared in the simulations that most combinations seemed to converge to a tube diameter corresponding to the parameters used. This aspect shows that the model succeeds in stabilizing and this phenomenon could be used to find an «ideal» set of parameters. Finally, several improvements can be envisaged for future versions of the model that could render it even more the biologically relevant like the integration of the internal cellular structures, the distinction between different types of materials composing the wall or the phenomenon of material supply. The developed model could be modified and exploited in the future to simulate specific growth phenomena such as swelling, tapering or changing direction. All these improvements will lead to a realistic and functional model of pollen tube growth and its potential anomalies. Finally and most importantly, the modeling tool created will lead to a better understanding in this particular field of biology by providing guidance for new experimentation.