Deux à 3% des enfants présentent une scoliose, déformation 3D de la colonne vertébrale, dont 80% sont idiopathiques, c’est-à-dire sans origine connue. Pour les scolioses sévères (angle de Cobb >45°) ou à fort potentiel de croissance, un traitement chirurgical est requis afin de stopper la progression de la courbure. L’intervention chirurgicale actuellement la plus utilisée fait intervenir une fusion vertébrale, la rendant très impactante pour la qualité de vie de l’enfant à cause notamment de la perte de mobilité que cela entraine. Pour l’éviter, le dispositif Anterior Vertebral Body Tethering (AVBT), une chirurgie dite « sans-fusion » par modulation de croissance, a été développée en utilisant une approche basée sur le principe de Hueter-Volkman. Celui-ci stipule qu’un chargement en compression sur les plaques de croissances inhibe la croissance alors qu’une force distractive la stimule. L’AVBT vient ainsi comprimer le côté convexe de la courbure par un câble fixé sur le côté des corps vertébraux afin d’inhiber la croissance et favoriser l’expansion du côté concave. Par modulation de croissance, la colonne vient alors graduellement se redresser au cours du temps et de la croissance. L’AVBT est donc une méthode prometteuse puisque qu’elle préserve la mobilité de l’enfant et ne nécessite pas de chirurgie de suivi périodique pour redresser la colonne. Néanmoins, actuellement implantée de manière empirique par les chirurgiens et chirurgiennes orthopédistes, il manque encore des connaissances sur ses effets au long-terme notamment sur les risques de bris de câble, de surcorrection ou de déformations subséquentes (adding-on). Ces dernières peuvent, en effet, survenir sur les courbures non-instrumentées de la colonne suite à l’implantation de l’AVBT. Ainsi, la courbure distale sous-jacente à l’instrumentation pourrait subir une nouvelle déformation postopératoire à cause de l’implant, ou, au contraire, se stabiliser voire s’améliorer. Pour faciliter la prédiction d’une telle évolution, il s’avère nécessaire de comprendre et d’étudier l’effet de paramètres biomécaniques intervenant dans l’évolution du segment non-instrumenté distal afin de prédire l’effet du dispositif sur le rachis entier.
L’objectif de ce mémoire était de développer une technique d’analyse biomécanique afin de prédire les déformations secondaires périphériques distales induites par l’implantation d’un dispositif sans fusion par modulation de croissance AVBT pour la scoliose pédiatrique. Ceci était pour tester l’hypothèse que l’évolution de la courbure lombaire suivant l’instrumentation AVBT peut être prédite par l’angle de cunéiformisation (wedging) discal et l’asymétrie des forces sous la dernière vertèbre distale instrumentée (LIV).
Pour ce faire, un modèle biomécanique par éléments finis basé sur la reconstruction 3D de patients traités par AVBT a été utilisé. Ce modèle inclut le rachis et son positionnement pré-, intra- et postopératoire ainsi que l’implantation du dispositif AVBT sur les vertèbres et sa mise en tension. La croissance et la modulation de croissance ont ensuite été simulées sur 24 mois afin de prédire les effets du dispositif sur la correction de la courbure au cours du temps. A partir de ce modèle, plusieurs indices biomécaniques ont été tirés des résultats de simulation. Ainsi, le moment appliqué sur la plaque de croissance du corps vertébral de la LIV+1 a été analysé pour évaluer sa capacité à prédire l’évolution de la courbure lombaire sous-jacente à l’instrumentation. Le moment est calculé à partir des pressions générées par le câble sous tension et les forces de gravitées agissant sur le rachis. Une étude de vérification et validation a été menée afin de s’assurer de la cohérence des valeurs de pressions relevées, nécessaires au calcul des moments. Des catégories ont été définies selon le profil d’évolution de la courbure distale non-instrumentée: 1) groupe C si la courbure lombaire se corrige, i.e, se réduit de plus de 10° à 2 ans après la chirurgie ; 2) groupe M si la courbure se maintient, i.e, varie de moins de 10° au cours de la croissance suivant l’implantation. Ce dernier groupe a aussi été sous-divisé en deux sous-groupes selon la valeur de l’angle de Cobb post-opératoire immédiat, supérieur ou inférieur à 20°. Par ailleurs, l’angle de cunéiformisation du disque intervertébral (DI) sous-jacent à la LIV mesuré sur les radiographies post-opératoires immédiates a aussi été étudié. La cohorte a été divisée en trois groupes selon sa valeur : « fermé » s’il était inférieur à -4°, « ouvert » s’il était supérieur à 4° et « parallèle » s’il était compris entre les deux. Ces deux paramètres ont été mis en corrélation avec l’angle de Cobb lombaire post-opératoire à 2 ans.
Pour le groupe C, le moment moyen est de 538 Nmm, tandis que pour le groupe M, le moment moyen est de 155 Nmm pour un angle de Cobb lombaire supérieur à 20° et de 34 Nmm pour un angle de Cobb inférieur à 20°. Un moment positif semble donc corriger la courbure distale sousjacente à l’instrumentation alors qu’un moment nul la maintiendrait après la chirurgie. Aucune corrélation n’a été trouvée avec l’angle de Cobb lombaire post-opératoire après 2 ans de croissance.
Concernant les angles de cunéiformisation, il est en moyenne de 1° pour le groupe C et de 0° pour le groupe M. Une faible corrélation (R²=0.4) existe entre l’angle du DI et l’angle de Cobb lombaire post-opératoire à 2 ans pour le groupe C et une tendance (R²=0.2) a été relevée pour le groupe M. Les DI parallèles semblent ainsi favoriser la correction de la courbure distale.
Cependant, l’importante variabilité des métriques étudiées entre les cas ne permet pas d’utiliser uniquement les moments et la cunéiformisation sous-jacente à la LIV pour prédire le profil de correction pour un ou une patiente donnée. Il en est déduit que d’autres facteurs biomécaniques tels que la flexibilité, la déformation scoliotique initiale, l’équilibre sagittal ou encore la tension du câble et le choix de la LIV pourraient influencer l’évolution de la courbure suivant la chirurgie. Par ailleurs, une plus grande cohorte augmenterait la puissance statistique de l’étude et des cas de surcorrection ou de détérioration de la courbure lombaire seraient utiles afin de pousser plus loin notre étude quant à l’influence des moments et de la cunéiformisation sur le profil de correction de la courbure distale non-instrumentée. Une étude multiparamétrique serait donc intéressante à mener afin d’étudier les effets combinés de plusieurs paramètres sur la prédiction de la courbure distale.
Ce projet montre qu’une approche biomécanique personnalisée, basée sur un modèle par éléments finis adapté à la reconstruction 3D des patients et des patientes, et utilisant deux paramètres biomécaniques, permet de dégager deux profils d’évolution de la courbure distale sous-jacente à l’instrumentation. L’étude devrait être poursuivie sur une cohorte plus importante et en incluant plusieurs autres paramètres biomécaniques. À terme, il est anticipé que ceci permettrait de mieux prédire l’évolution du rachis suite à l’implantation de l’AVBT et ainsi de mieux planifier l’intervention chirurgicale.
Two to 3% of children have scoliosis, a 3D spinal deformity, of which 80% are idiopathic, i.e. without a known origin. For severe scoliosis (Cobb angle >45°) or with high growth potential, surgical treatment is required to stop the progression of the curvature. The most commonly used surgical procedure currently involves a spinal fusion, making it very impactful on the patient's quality of life due to the loss of mobility that it entails. To avoid this, the Anterior Vertebral Body Tethering (AVBT) a fusionless device by growth modulation, has been developed using an approach based on the Hueter-Volkman principle. This principle states that compressive loading on the growth plates inhibits growth while a distractive force stimulates it. The AVBT compresses the convex side of the curvature with a tether attached to the side of the vertebral bodies to inhibit growth and promote expansion on the concave side. Then, by growth modulation, the spine gradually straightens out over time and with growth. AVBT is therefore a promising method since it preserves the patient's mobility and does not require periodic follow-up surgery to straighten the spine. Nevertheless, currently implanted empirically by orthopedic surgeons, there is still a lack of knowledge about its long-term effects, particularly about the risks of cable breakage, overcorrection or subsequent deformities (adding-on). The latter may occur on non-instrumented spinal curvatures after AVBT implantation. Thus, the distal curvature underlying the instrumentation could undergo further postoperative deformation due to the implant, or, on the contrary, stabilize or even improve. To help predict such evolution, it is necessary to understand and study the effect of biomechanical parameters involved in distal non-instrumented segment evolution in order to predict the effect of the device on the entire spine.
The objective of this thesis was to develop a biomechanical analysis technique to predict distal secondary peripheral deformities induced by implantation of a fusionless AVBT device for pediatric scoliosis. The hypothesis to be tested was that the evolution of lumbar curvature following AVBT instrumentation can be predicted by the wedging angle of the disc and the asymmetry of forces under the lower instrumented vertebrae (LIV).
For this purpose, a biomechanical finite element model based on the 3D reconstruction of patients treated with AVBT was used. This model includes the spine and its pre-, intra- and postoperative positioning as well as the implantation of the AVBT device on the vertebrae and its tensioning. Growth and growth modulation are then simulated over 24 months to predict the effects of the device on curvature correction over time. From this model, several biomechanical indices can be extracted from the simulation results. For example, the moment applied to the LIV+1 vertebral body growth plate was analyzed to assess its ability to predict the evolution of the lumbar curvature underlying the instrumentation. The moment is calculated from the pressures generated by the tensioned cable and the gravitational forces acting on the spine. A verification and validation study was conducted to ensure the consistency of the pressure values recorded, necessary for the calculation of the moments. Categories were defined according to the evolution of the distal noninstrumented curvature: 1) group C if the lumbar curvature corrects, i.e., reduces by more than 10° at 2 years after surgery; 2) group M if the curvature is maintained, i.e., varies by less than 10° during the growth following implantation. This last group was also subdivided into two subgroups according to the value of the immediate postoperative Cobb angle, greater or less than 20°. In addition, the wedge angle of the intervertebral disc (ID) underlying the LIV measured on immediate postoperative radiographs was also studied. The cohort was divided into three groups according to its value: "closed" if it was less than -4°, "open" if it was greater than 4°, and "parallel" if it was between the two. These two parameters were correlated with the postoperative lumbar Cobb angle at 2 years.
For group C, the mean moment was 538 Nmm, whereas for group M, the mean moment was 155 Nmm for a lumbar Cobb angle greater than 20° and 34 Nmm for a Cobb angle less than 20°. A positive moment thus appears to correct the distal curvature underlying the instrumentation, whereas a zero moment would maintain it after surgery. No correlation was found with the postoperative lumbar Cobb angle after 2 years of growth.
Concerning the wedge angles, it was on average 1° for group C and 0° for group M. A poor correlation (R²=0.4) existed between the DI angle and the postoperative lumbar Cobb angle at 2 years for group C and a trend (R²=0.2) was noted for group M. Parallel DIs thus seem to favor correction of the distal curvature.
However, the large variability of the studied metrics between cases does not allow to use only the moments and the wedging underlying the LIV to predict the correction profile of individual cases. It is inferred that other biomechanical factors such as flexibility, initial scoliotic deformity, sagittal balance or cable tension and the choice of LIV could influence the evolution of curvature during growth following surgery. Furthermore, a larger cohort would increase the statistical power of the study and cases of overcorrection or deterioration of lumbar curvature would be useful to further our conclusions regarding the influence of moments and wedging on the correction profile of non-instrumented distal curvature. Therefore, a multiparametric study would be interesting to investigate the combined effects of several parameters on the prediction of distal curvature.
This project shows that a personalized biomechanical approach, based on a finite element model adapted to the 3D reconstruction of patients, and using two biomechanical parameters, allows to identify two profiles of evolution of the distal curvature underlying the instrumentation. The study should be continued on a larger cohort and including several other biomechanical parameters. Ultimately, it is anticipated that this would provide a better prediction of the evolution of the spine after AVBT implantation and thus allow a better planning of the surgical intervention.