Les travaux de recherche s’intéressant à la colonne vertébrale et sa biomécanique se sont multipliés au cours des 25 dernières années. Mais malgré tous les moyens mis pour la recherche dans ce domaine bon nombre de problématiques demeurent non résolues et les chercheurs comme les cliniciens font face à certaines impasses. Un exemple frappant concerne les cas de maux de dos qui ont atteint des proportions telles que cela est devenu un véritable problème de santé publique. D’autres pathologies liées au dos telles que la scoliose idiopathique par exemple sont encore à ce jour très mal comprises. On observe également cette problématique de manque de compréhension dans les études biomécaniques relatives à la locomotion. Ces dernières ne considèrent pas la colonne vertébrale malgré le fait que de nombreux éléments semblent confirmer la théorie selon laquelle cette dernière serait le moteur principal de la locomotion. Ces différents domaines cités en exemple nécessitent une bonne compréhension de la biomécanique de la colonne vertébrale. Or, les approches actuelles ne le permettent pas et montrent clairement leurs limites. Le besoin de nouvelles approches est donc plus que jamais une nécessité.
Ce qu’il manque actuellement est une réelle compréhension des fonctions de la colonne vertébrale et ses composants. L’un de ses composants devant absolument être pris en compte est le fascia thoracolombaire (FTL). Cette structure complexe, composée de différentes couches de tissus aponévrotiques et collagéneux superposées, située dans la région lombaire du dos joue un rôle central dans la biomécanique de la colonne vertébrale. Tout l’enjeu est donc de comprendre pleinement la fonction de la colonne vertébrale en considérant également le FTL ce qui permettra d’étudier sa biomécanique du point de vue de sa fonction et non du point de vue d’une vision humaine potentiellement biaisée, fruit d’hypothèses erronées.
Dans ce contexte, l’objectif principal de ce projet de recherche était de déterminer si l’influence que le FTL a sur les fréquences propres de la colonne vertébrale est significative ou non, au moyen d’un modèle par éléments finis.
Pour atteindre cet objectif la première étape du projet a été le développement d’un modèle numérique par élément finis de la partie lombaire de la colonne vertébrale. Pour la réalisation de cette étape un modèle passif validé de la partie lombaire L1-S1 de la colonne vertébrale a d’abord été reproduit puis les couches médiane et postérieure du FTL ont été ajoutées à celui-ci après une étude anatomique approfondie. Les vertèbres ont été modélisées par des disques rigides et les disques intervertébraux par des poutres pour lesquelles un comportement non linéaire tenant compte des propriétés et du comportement de ces derniers ainsi que ceux des structures passives (ligaments et facettes) a été introduit. Les couches médiane et postérieure du FTL ont été modélisées par des fibres individuelles au propriétés élastiques isotropes fusionnant toutes latéralement aux vertèbres dans la “lateral raphe”. La mise en tension du FTL a été réalisée par l’application de force latérales sur la “lateral raphe”, zone où les différentes couches du FTL fusionnent avec les aponévroses de certains muscles abdominaux, pour essayer reproduire au mieux des conditions réelles.
La deuxième étape a été la validation partielle du modèle par la réalisation de tests en statique afin de s’assurer que celui-ci avait un comportement cohérent pour pouvoir être utilisé pour la suite de l’étude. Des moments de flexion sagittale et flexion latérale allant jusqu’à 10 N.m ont été appliqués sur la vertèbre L1 tout en gardant le sacrum fixe et l’impact du FTL sur les mouvements ainsi engendrés a été étudié.
Enfin, la dernière étape a consisté en la réalisation d’une analyse modale à partir du modèle développé afin d’étudier, dans le contexte de la locomotion bénéficiant du phénomène de résonance, comment le FTL influence les fréquences propres de la colonne vertébrale. Pour cette analyse les conditions limites ont été légèrement modifiées afin de mieux correspondre à des conditions retrouvées pendant la locomotion. De plus, des propriétés des matériaux ont été affectées aux vertèbres contrairement à l’étude en statique car les éléments rigides ont des fréquences de résonance nulles et cela aurait par conséquent faussé les résultats. Dans un premier temps l’influence des différents paramètres sur les fréquences propres obtenues a été évaluée à l’aide d’une analyse de sensibilité. Puis dans un second temps une étude plus détaillée des modes calculés a été réalisée pour tenter de faire le lien avec la locomotion. Pour cela deux configurations différentes des paramètres des matériaux des vertèbres et disques intervertébraux ont d’abord été définies ce qui correspond à des morphologies et anatomies différentes (Configuration 1 et Configuration 2). Une analyse modale a ensuite été faite pour chacune de ces deux configurations afin d’étudier comment les propriétés du FTL influencent les fréquences de résonance du modèle. Les deux configurations différentes ont permis de voir si les mêmes observations pouvaient être faites pour différentes morphologies et donc différents individus.
En premier lieu, les résultats de l'étude en statique ont montré que le modèle passif a pu être reproduit et que son comportement une fois le FTL incorporé était en accord avec les résultats obtenus lors d’études précédentes réalisés sur des modèles numériques ou ex vivo. Pour la flexion sagittale, une force de 50N appliquée bilatéralement sur la “lateral raphe” a entraîné une restriction de la translation antérieure au niveau L1 de 1,78% pour le moment maximal appliqué de 10 N.m et de 9,81% pour le moment minimal appliqué de 2 N.m. Pour la flexion latérale, une force de 20N appliquée unilatéralement sur la “lateral raphe” du côté opposé au mouvement a entraîné une restriction de la translation latérale au niveau L1 de 8,51% pour le moment maximal appliqué de 10 N.m et de 37,74% pour le moment minimal appliqué de 2 N.m.
Par la suite, une analyse de la sensibilité des paramètres du modèle pour l’analyse modale a été menée. Pour cela un coefficient de sensibilité qui quantifie l’influence d’un paramètre sur la réponse du modèle a été calculé pour chacun des paramètres du présent modèle. Les résultats ont montré que la masse et l’inertie des vertèbres, avec des coefficients de sensibilité relative de 0,003 et 0 respectivement, ont une influence négligeable sur les fréquences de résonance du modèle. Le module de Young des vertèbres a une influence moyenne (0,08). Le module de cisaillement des poutres non linéaires modélisant les disques intervertébraux a également une influence moyenne (0,12). Enfin, le module de Young du FTL a une influence élevée (0,45). L’analyse modale pour la configuration 1 a montré l’existence pour le modèle développé d’une fréquence de résonance de 1,16 Hz correspondant à un mode de torsion. Pour la configuration 2, le même mode de torsion a été trouvé pour une fréquence de 1,28 Hz. Pour les deux configurations, une variation du module de Young du FTL de 10% a suffi pour faire varier la fréquence de ce mode de torsion sur un intervalle de 1,4 Hz ce qui correspond à la taille de l’intervalle des fréquences de la locomotion allant de 1,4 à 2,8 Hz.
Ce projet de recherche a permis le développement d’un modèle numérique par éléments finis de la partie lombaire de la colonne vertébrale intégrant les couches médiane et postérieure du FTL. L’étude réalisée est la première à évaluer l’impact du FTL sur les modes et fréquences de résonance de la colonne vertébrale. L’existence d’un mode de torsion proche de l’intervalle 1,4 - 2,8 Hz correspondant à des fréquences de pas typiques pour la marche et la course suggère que la locomotion bénéficiant de la résonance est tout à fait plausible. Il ressort également de ces travaux que le FTL a le potentiel d’être l’élément modulateur principal des fréquences de résonance de la colonne vertébrale et pourrait donc jouer un rôle dans cette locomotion.
Over the past 25 years, the amount of research studies focusing on the spine biomechanics has increased. Despite all the financial support provided in this area researchers and clinicians are still facing major challenges and unanswered questions. The ever-increasing prevalence of Low Back Pain in our societies is a great example of those issues. Other back-related pathologies like idiopathic scoliosis remain not well understood. Biomechanical studies of human locomotion also show poor understanding by neglecting important aspects. The spine is often forgotten in those locomotion studies that only focus on the legs. Yet there is concrete evidence in favor of the spinal engine theory, which states that locomotion is first achieved by motion of the spine, and that legs are only improvements allowing a more efficient locomotion. All the aforementioned areas of research have in common the fact that a complete understanding of the spine biomechanics is needed but the actual approaches have limits that clearly do not allow for proper understanding. In fact, what is really lacking is a real understanding of the spine’s function as well as its surrounding components. One of those components that must be considered in the thoracolumbar fascia (TLF). This complex collagenous structure composed of several fascial and aponeurotic sheaths or layers located in the lumbar area of the back plays a huge role in the spine biomechanics. Hence, the challenge is to fully understand the function of both the spine and the TLF in order to study their biomechanics with the right approach.
The objective of this research project was to determine if the influence of the TLF on the spine natural frequencies is significant by means of a finite-element model of the lumbar spine.
In order to achieve this objective, the first step was to develop the finite-element model. A previously validated simplified finite-element model of the lumbar spine (L1-S1) was first reproduced and the middle and posterior layers of the TLF were then added according to the information found in the literature. Vertebrae were modelled as rigid discs. The intervertebral discs were modelled as nonlinear beams taking into account their properties and behavior as well as the ligaments’ and facet joints’. The middle and posterior layers of the TLF were modelled by individual fibers with elastic isotropic properties inserting on the back and side of the vertebrae at the different lumbar levels and merging laterally in the lateral raphe. Tensioning of the TLF was achieved by applying a lateral tensile force on the lateral raphe as seen in reality.
The second step consisted in a partial validation study of the developed model by means of static loading tests to make sure that the model was behaving consistently. Moments in the sagittal and frontal planes up to 10 N.m were applied on L1 while keeping the sacrum fixed. The impact of the TLF on the displacements at L1 was then assessed.
In the end, a modal analysis of the lumbar spine finite-element model was run to study, in this locomotion context, the influence of the TLF on the spine’s natural frequencies. For this part of the study the boundary conditions were changed to better represent locomotion conditions and material properties were assigned to the rigid vertebrae because rigid bodies have null resonant frequencies which could have affected the results. First, a sensitivity analysis was achieved to assess the influence of the model’s parameters on its natural frequencies. Then a more detailed study of the calculated natural frequencies was made to look for a potential link with locomotion. Two different sets of parameters were defined for the material properties of the vertebrae and intervertebral discs which corresponded to two different morphological and anatomical configurations. For each of them a modal analysis was run. These two different sets of parameters were meant to verify if the same results were obtained for different morphologies which would be equivalent to different individuals.
The results of the static study first showed that the passive lumbar spine model was successfully reproduced and that, after implementation of the TLF, its behavior was in agreement with results obtained from previous studies on either numerical or experimental models. For the first test of flexion in the sagittal plane, a 50 N tension force applied bilaterally on the lateral raphe caused a translation restriction of 1.78% at L1 level for a 10 N.m moment and 9.81% for a 2 N.m moment. For the second test of lateral flexion, a 20 N tension force applied unilaterally on the lateral raphe on the opposite side of the motion caused a translation restriction of 8.51% at L1 level for a 10 N.m moment and 37.74% for a 2 N.m moment.
A sensitivity analysis was then achieved. Sensitivity coefficients that quantify the impact of a given parameter on the model response were calculated for each parameters of the model. The results showed that the impact of the mass and inertia of the vertebrae on the model’s natural frequencies is not significant with relative sensitivity coefficients of 0.003 and 0 respectively. The Young’s Modulus of the vertebrae has a medium impact (0.08). The shear modulus of the nonlinear beams modeling the intervertebral discs has a medium impact as well (0.12). Finally, the Young’s Modulus of the TLF had a high impact (0.45).
The modal analysis showed for the first morphological configuration a natural frequency of 1.16 Hz corresponding to a torsion mode. For the second morphological configuration, the same torsion mode was found for a slightly different frequency: 1.28 Hz. For both configurations a 10% variation of the TLF Young’s Modulus was enough to produce a variation of that frequency in a range of equal size as that of the locomotion range of frequencies 1.4 - 2.8 Hz.
In this research project a finite-element model of the lumbar spine including the middle and posterior layers of the TLF was developed. The study presented is the first to ever investigate the impact of the TLF on the spine’s natural frequencies. This preliminary study shows that the lumbar spine has a torsional resonant mode for a frequency value near the range of the locomotion frequencies suggesting that locomotion benefiting from the resonance phenomenon could be possible. Furthermore, small changes in the TLF properties can easily modulate this frequency which indicates its potential role for locomotion.